Repris de Justice

In "CE QUI SE PASSE", 24 FPS, 25 FPS, CHOSES VUES, MIND STORM, POP MUSIC, PROPAGANDA, SCREENS
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Esprit d’escalier, quand tu nous tiens…

Ce n’est qu’après avoir publié le post précédent que j’ai eu soudainement une connexion mentale plus intéressante que celle du clip « Bâtards de Barbares« , tellement évident dans ses intentions, tellement pauvre dans l’ensemble de sa facture qu’il ne constituait qu’une sorte d’épouvantail relativisant le clip de Justice, tout en discréditant la boite de prod’, même si on peut voir là un énième exercice de Grand Guignol, qui semble néanmoins très peu assumé, et on a quand même du mal à voir là un équivalent de la fascination que pouvait provoquer Public Enemy du temps de sa grandeur.

Toujours est il qu’il faut être juste. A côté de ces deux portraits désastreux de jeunes « de couleur » au sein de la France telle qu’on peut se la représenter, Kourtrajmé propose, aussi, d’autres perspectives. Soit par l’intermédiaire du court métrage documentaire que j’ai déjà évoque (365 jours à Clichy), soit dans d’autres clips, pour d’autres artistes, qui sont l’occasion de tracer de nouvelles pistes.

Ainsi, le clip produit pour le titre Signatune, de Dj Mehdi, prend il place dans une de ces villes du Nord dans lesquelles une population de jeunes ruraux se réunit autour de l’objet de fantasme local : la bagnole. Sans développer une violence semblable au clip qui fait polémique, on a là comme un décalque en négatif de Stress : une population blanche, masculine, qui vit loin des grandes villes, et qui se réunit pour des défis virils visant à sélectionner le mâle dominant, sur le critère hyper pertinent de la puissance de leurs autoradios réciproques. Si il n’y pas là de baston aussi évidente que chez Justice, on palpe néanmoins de près, de nouveau, la tension à l’oeuvre, la prédation réciproque des uns envers les autres, les défis larvés, le crachat lancé comme on lance son gant à la figure du futur adversaire, les bagnoles comme des pistolets chargés, les potes comme témoins, les victorieux, les perdants. Les perdants d’un pays qui a fait son choix, de toutes façons.

Du coup, derrière ce petit portrait de quelques fondus du tuning, qui parvient à rester humain grâce à quelques plans les isolant de leur monture, les cadrant à hauteur de visage, les yeux dans les yeux, tout comme, d’ailleurs, Stress accorde à ses personnages des plans fixes sur leurs visages, leur redonnant une présence tout humaine entre deux phases de pétage de plombs, derrière ce portrait, donc, j’entrevoyais un autre portrait de jeunes gars du nord, (non non, pas dans les fameux Chtits, dont je crois que je vais persister à ne pas les voir, me contentant de la bande annonce, qui a l’air de proposer l’essentiel), vu chez Bruno Dumont, dans son film « la vie de Jésus ». Chronique d’une bande de jeunes ordinaires, avec leurs perspectives, leurs murs, leurs enfermements, leurs lignes de fuite, leurs rêves à deux balles, et leur haine facile, en particulier envers l’étranger, surtout au moment où celui ci lorgne un peu trop sur la chouette fille du village. Une haine qui va jusqu’au lynchage sur une petite route de campagne, dans l’anonymat des fossés. Difficile de pousser plus loin la comparaison. Quand ici tout est fait en subtilité et en réalisme cru, là on est dans le rentre dedans du format court, de la pulsion rythmique, dans l’urgence du format. Et pourtant, au fond, des tableaux d’un même pays, même si dans les têtes, les deux faces ne se rencontrent pas, s’ignorent même.

Mais j’ai beau parcourir les critiques, je constate que pour le film de Dumont, tout le monde comprend les jeunes, leurs faiblesses, leur crime aussi, et personne ne semble craindre que le film donne une image caricaturale des zones rurales et des blancs en général. Bien sûr, la comparaison n’est pas tout à fait possible, mais si on y réfléchit, les raisons de cette différence ne sont pas si bonnes que ça : quand les blacks dérapent, il ne faudrait pas le montrer, officiellement pour ne pas froisser, pour ne pas stigmatiser. Mais je l’ai déjà supposé, pour éviter aussi de développer une excessive mauvaise conscience.

Sans aller au bout de la confrontation parallèle, car dans un cas le propos politique est assumé, et passe par une forme artistique totalement maîtrisée, sans artifice inutile, sans astuce de mise en scène gratuite, loin des ambiguïtés presqu’absurdes des pseudos astuces ou mises en abyme de Gavras (le coup de l’autoradio, l’apparition progressive de l’équipe de tournage (un bon vieux coup déjà vu mille fois, dans le fameux « C’est arrivé près de chez vous« , par exemple), le perchiste qui se brûle, le lynchage final du cameraman, qui se clôt sur un énigmatique « Ca te plait de filmer ça ? »). Là où Dumont est absent de son film, tandis que son regard embrasse le pays qu’il raconte, Justice est omniprésent dans le film : bande son, logos des blousons (alors alors, quand seront ils en vente ?), finalement, les jeunes c’est eux, mais à aucun moment ça n’est assumé, tout se fait en douce, sans aucun propos, à vide.

D’un côté, malgré des scènes d’une crudité parfois confondante, on obtient une pudeur juste; de l’autre, l’omniprésence vaine constitue une simple obscénité, qui consiste à se montrer pour se montrer, dans un élan quasi narcissique. Là aussi, en ce sens, le clip de Justice témoigne de manière pertinente de l’époque qui est la nôtre. Reste que si le clip est criticable, ce n’est pas pour le récit qu’il propose, mais bel et bien parce que ce récit n’est finalement pas assumé.

7 Comments

  1. je reste juste béate devant tant de justice dans le texte , j’avais déjà visionné toutes ces vidéos ,je pensais la même chose , mais n’aurait jamais su l’écrire ou même le dire avec tant de précision .

  2. Mais moi je t’aime jkrsb ! Quelqu’un qui cite Bruno Dumont ne peut pas être entièrement mauvais ! J’attends avec impatience ton futur post sur Hadewijch. Je me connecte non-stop à partir de mercredi 16h à la sortie de la première séance !

  3. Hmmmmm… je crois bien que la seule chose qui m’intéressais dans Justice, c’était la connexion avec les clips sur la France popu du Nord, et la perspective vers Dumont. Quant à Hadewijch, je ne sais absolument rien de ce film. Tout ce que j’en connais, c’est son affiche, et c’est clair que l’attraction est tout à fait magnétique. C’est bien simple, s’il était déjà sorti, j’aurais bien séché la manif, demain, pour aller plutôt le voir. Mercredi… peut être bien ! 😀

  4. Tu me copieras cent fois : on ne sèche pas les manifs, même pour aller voir Hadewijch de Bruno Dumont !

  5. Je l’ai pas encore vu, mais cette fois, j’ai lu des choses à son sujet, et je trépigne d’impatience de le voir !!

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