Le rire expliqué à (et par) BHL

In "CE QUI SE PASSE", "J'avance masqué", PAGES, PROPAGANDA
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Tiens, je vais faire mon BHL : tout le monde sait que dans son « Rire« , Bergson désigne le comique comme relevant du mécanique plaqué sur du vivant. Tout le monde le sait tellement que Levy ne se donne même pas la peine de sourcer sa référence, dans son intervention du 21 Juillet 2008, dans Le Monde, à propos de l’éviction du dessinateur Siné hors de Charlie Hebdo. Pourtant, ça n’aurait pas été inutile, de le préciser; ça et deux ou trois autres choses.

Déjà, « du mécanique plaqué sur du vivant« , je ne suis pas sûr que ça parle à grand monde. Non pas que ça soit très compliqué à comprendre, mais cela nécessite quand même d’être un peu familier avec (pour commencer) les quelques pages qui environnent cette formule un peu courte et avec (ensuite) la pensée globale de Bergson (ce qui, soit dit en passant, ne serait pas un luxe par les temps qui courent, et serait peut être susceptible de nous mettre les idées en place sur deux ou trois problèmes devenant centraux dans nos existences).

Une donnée de départ, simple, permet de comprendre le mécanisme du comique (puisque c’est bien de ça qu’il s’agit : savoir ce qui est drôle et ce qui ne l’est pas, puisqu’à cause de Siné (oh, bien sûr, comme Gerra ne s’attaque qu’aux jeunes, aux chrétiens, aux femmes et aux homosexuels, on est au moins protégés d’une indignation béhachélienne sur ce comique là) on ne sait plus trop où se situe la limite du risible, et du pas drôle du tout). Pour Bergson, la vie est un mouvement qu’on pourrait caractériser comme simple. Presque tellement simple qu’il nous échappe, car il est un courant tellement fluide, tellement imperturbable, tellement constant, puissant, « fort » (au sens quasiment Lucasien du terme (de George Lucas, le Lucas de La guerre des étoiles, pas le Lukacs de Histoire et conscience de classe )), qu’il se situe sur un plan qui n’est presque pas le nôtre. En d’autres termes, la vie (et on parlerait plutôt là de la vie comme principe profond de cet univers, c’est à dire une force qui s’étend et se développe comme une force tranquille toutes ses possibilités, y compris (et peut être tout à fait spécifiquement) à travers nous autres, humains) est ce qui se déroule impassiblement, sans que rien ne vienne la troubler. Le mécanique, c’est au contraire ce qui fonctionne ponctuellement, avec des moyens connus, mais limités. Le mouvement mécanique, c’est celui qui a un début et une fin.

Allez, un peu d’histoire des idées. Bergson n’est pas le premier à distinguer ainsi deux plans sur lesquels nous surferions, de manière inégalement consciente. Au quatrième siècle avant notre ère, Aristote dans son Traité du ciel, séparait déjà le monde (entendez par là l’univers, eh oui, nous ne sommes que terriens, (justement)) en deux zones, existant sous deux règnes différents. La frontière, c’est la lune. Ca peut nous paraître un peu simpliste, et pourtant, notre orgueil dût-il en souffrir, c’est bien à cette porte là que notre monde vécu s’arrête. Au delà, ce ne sont que mouvements aussi parfaitement cycliques que ceux de la station orbitale de Kubrick. En deçà, les os montent vers le ciel. Et retombent. En termes moins imagés, ce qu’Aristote appelle l’univers supralunaire est le domaine des lois parfaites, des mouvements cycliques et infinis (le cercle est considéré comme la figure géométrique parfaite, sans rupture, égale à elle-même, sans début ni fin), alors que le monde sublunaire (le nôtre en somme) est celui des mouvements limités, finis (au sens où ils ont un début, et une fin), imparfaits. Ainsi établit on une distinction, dont nous sommes encore héritiers, entre « le monde sublunaire constitué d’éléments générables, altérables et destructibles et le monde supralunaire, constitué de la substance céleste qui est parfaite et immortelle ».

Bien. Si Aristote avait raison, et si on suit la pensée de Bergson, l’univers doit bien se marrer en nous regardant, car c’est de la friction entre nos mouvements mécaniques (entendez le mot « mécanique » au sens où on l’utilisait dans vos cours de sciences physiques, ça devrait vous aider : il s’agit de mouvements qui sont de l’ordre de la mécanique qui dictait leur mouvement aux splendides mobiles autoportés que vous faisiez glisser sur leur coussin d’air), c’est donc de la friction entre nos mouvements mécaniques et le lent mouvement éternel et immuable de l’univers que naît l’effet comique. Finitude dans l’infini, nous sommes l’élément absurde d’un comique anglais subrepticement glissé au coeur de l’univers, comme une blague. Inutile de dire qu’Aristote et Bergson aurait adoré les Monthy Python, Woody Allen et leurs associés.

Démonstration ? Vous avez du déjà voir des séquences de ce duo que constituent Eric et Ramzy. Regardez bien comment ça fonctionne : du mécanique plaqué sur du vivant. Eric et Ramzy sont des corps. Enfin, pour qu’il n’y ait pas de méprise, ce sont évidemment des êtres humains, mais la manière dont ils constituent leurs personnages consiste à en faire des petites mécaniques qui fonctionnent de manière d’autant plus comique qu’elles voient le nombre des règles qui les régissent se réduire à un nombre de plus en plus petit. Cette règle marche à tous les coups : Charlot est drôle quand le rythme machinique de la chaine de montage s’empare de son corps et en prend le contrôle, et il est d’autant plus drôle qu’il devient une part même de la machine qui le digère Remarquons d’ailleurs que ça ne marche que dans un sens : la machine ne devient pas drôle quand on y intègre de l’humain; elle devient au contraire tragique. C’est d’ailleurs ce qui arrive quand l’homme devient véritablement humain et qu’il se frotte aux problèmes qui ne se posent qu’à lui : il perd tout sens comique et s’élève tragiquement en sortant des milles manies qui lui permettent d’éviter tout questionnement trop crucial sur son propre compte (je ne vais pas ouvrir une parenthèse supplémentaire, mais fouillez bien, il doit y avoir quelque part sur le net un endroit où on vous parle un peu de Pascal et de divertissement). C’est pour ça que les ivrognes sont drôles : leur comportement normal (celui de la vie dans son mouvement constant) étant dévié par des routines plus simples, davantage binaires, ils plaquent involontairement du mécanique sur leur propre corps, et deviennent bouffons, et c’est pour cela aussi que le simple d’esprit peut, si on le regarde pour ce qu’il apparaît, et seulement pour cela (regard qu’on peut, et heureusement, dépasser), présenter lui aussi un certain potentiel comique. Ainsi, rire, chez Bergson, c’est ça, depuis les blagues grecques (j’espère que vous n’êtes pas passés à côté de l’inénarrable (et parfois hermétique) recueil de blagues antiques Va te faire voir chez les grecs, qui regorge de mécanismes du même ordre jusqu’à la tout autant inénarrable (et parfois tout autant hermétique) Cité de la peur.

Jusque là, rien de très éclairant sur notre porteur de chemises blanches (oh, j’espère que vous l’avez vu, in-semblable à lui même, « BHL » inauthentique, dans cette émission de Guillaume Durand où il apparaissait dans une improbable veste dont on sentait qu’on avait pris grand soin de la choisir mal fichue (ça dépassait en gaucherie volontaire la panoplie de Rimbaud usuellement louée par Raphaël au magasin de déguisements locaux; pour BHL, on avait dégoté quelque chose de plus désuet, qui en imposait, genre veste de vieux penseur. Or il fallait en imposer ce soir là, puisqu’il y avait là tout le gratin de la « philosophie » médiatique française : Finkelkraut, Onfray en premier lieu, et il fallait se démarquer. Aussi Lévy semblait-il (et c’était d’ailleurs un semblant revendiqué) sortir de l’avion qui le ramenait du Darfour; pour un peu, il aurait pu, à la manière « Bernie », sortir distraitement de la poche de sa veste une main coupée sur une victime du conflit, qu’il aurait courageusement recueillie dans son auguste veste, pour se repeigner avec. Un coup de peigne n’aurait d’ailleurs pas été un luxe; et un coup de rasoir non plus. Comme si l’émission était en direct, et qu’il n’avait pas eu le temps de passer par la loge de la maquilleuse… Alors là, pour le coup, c’était drôle ça), jusque là, disais-je (et vous remarquerez que j’essaie quand même de ne pas vous perdre excessivement dans le méandre des parenthèses) on n’a rien de très éclairant sur Lévy et sur sa manière de concevoir l’humour dans sa diatribe contre Siné et contre ses défenseurs. Mais là où sa référence à la définition bergsonienne du rire devient intéressante (bien plus qu’il ne le voulait, sans doute), c’est que bergson ne se contente pas (on s’en doute) de la formule qui est passée à la postérité. Ainsi peut on lire plus loin :

« un personnage comique est généralement comique dans l’exacte mesure où il s’ignore lui-même. Le comique est inconscient ».

Nous y voila (et vous pourrez revenir vers n’importe quelle page qui vous parle de l’esprit de sérieux, chez Pascal, je n’ouvre décidément pas cette parenthèse là dans cet article ci). Le coeur du dispositif du comique Béhachelien se trouve dans la distance entre ce que le personnage a conscience d’être et l’image qu’en reçoit le spectateur, pour peu qu’il ne soit pas dupe (et je ne désespère pas tout à fait de nous autres, et crois que ceux qui se laissent prendre son somme toute assez peu nombreux) : BHL remplit exactement les conditions du comique que propose la référence qu’il utilise (sans, bien sur la creuser, mais pas d’inquiétude, on s’en charge) : il est très exactement du mécanique plaqué sur du vivant. Vivant, le cours de l’Histoire, la Force invisible à l’oeuvre pourtant dans la suite étrange des actions humaines. Mécanique, « raide » comme le dit Bergson, le piètre mouvement de celui qui essaie de se glisser en douce (et néanmoins aux forceps) dans les maillons de la chaine historique, qui se cale en passager clandestin entre deux wagons du train de l’Histoire humaine, en tentant de faire croire qu’il y a une certaine importance, et surtout qu’il peut juger des autres passagers. Forcément raide, parce que pour prisée qu’elle soit, la place est inconfortable, mais tel Mylène Farmer accrochée à sa locomotive XXl, cheveux au vent, chemise boursouflée sur un torse incapable de produire lui même le souffle de l’Histoire (Dieu merci). Mécanique la manière dont les mêmes références, le même vocabulaire est employé, quel que soit le propos. Le bon vieux recours au latin (allez, un peu de légitimité universitaire pour ceux qui ca impressionne encore), c’est tout autant un principe que le moteur à explosion. « Rastignac » substantivé, c’est aussi nécessaire que le principe du moteur diesel. L’attaque envers Alain Badiou, c’est aussi déterminé que les bonnes vieilles lois de la vengeance. Le seul grain de sable dans la belle horlogerie comportementale, c’est l’absence de référence à Maurras.

Attendu aussi le recours à Sartre, qu’on peut souvent mettre à toutes les sauces, mais étonnant que ce soit dans la préface aux Damnés de la terre que le personnage aille ainsi chercher de l’aide, parce que c’est là saisir le bâton pour se frapper soi même. Parce que finalement, ce que reproche BHL à Siné, c’est son sale humour, qu’il nomme antisémite. Mais qui a dit que la rubrique « Siné sème sa zone » avait un but comique ? BHL la lit-il pour ainsi placer Siné dans la catégorie des humoristes, comme on plaçait auparavant ceux qu’on souhaitait éliminer dans les catégories animales ? Si on prend les catégories de Bergson en référence, on voit bien à quel point Siné ne se classe pas parmi les humoristes, parce qu’il ne plaque pas du mécanique sur du vivant, mais retourne la mécanique contre elle même dans un monde dont la vie à disparu. Sisyphe n’est pas comique. Il fait partie des enragés, ceux qui n’en peuvent plus et qui, plutôt que saisir un fusil, font quelque chose de cette rage avec un stylo. Et ceux qui lisent et regardent les news les dents serrées peuvent peut être les desserrer un peu en lisant sa rubrique, mais ça ne provoque pas l’hilarité générale, loin s’en faut. Et on est loin des ambiances anciennes au cours desquelles on se tapait dans le dos autour d’une « bonne vieille » blague antisémite. Et on se surprend à constater que finalement, les plus nostalgiques de ces temps là sont ceux qui en étaient victimes. Alors, bien sûr, quand on est en face d’énervés, du haut de son pouvoir éditorial, on a beau jeu de faire passer le moindre de leur mouvement pour de la barbarie, et on n’hésite pas alors à sortir les grands mots et les accusations majeures (mécanisme basique chez BHL), surtout si ça permet de mettre un peu de lubrifiant dans les rapports qu’on entretient avec un journal qui d’habitude se fout pas mal de votre gueule. Le petit soutien à Val est bienvenu, pour tout le monde.

Néanmoins, puisqu’on cite la préface de Sartre aux Damnés de la terre, en voici un petit paragraphe (précisons juste qu’il s’agit là des rapports qu’entretenaient les colons européens avec les indigènes des territoires qu’ils occupaient, mais on peut bien sûr remplacer ces termes là par d’autres situation d’exploitation, prenez celle qui vous vient à l’esprit, là, maintenant; et les agressions dont parle Sartre au début de l’extrait sont celles que les colons font subir aux indigènes) :

« Mais ces agressions sans cesse renouvelées, loin de les porter à se soumettre, les jettent dans une contradiction insupportable dont l’Européen, tôt ou tard, fera les frais. Après cela, qu’on les dresse à leur tour, qu’on leur apprenne la honte, la douleur et la faim : on ne suscitera dans leurs corps qu’une rage volcanique dont la puissance est égale à celle de la pression qui s’exerce sur eux. Ils ne connaissent, disiez-vous, que la force ? Bien sûr ; d’abord ce ne sera que celle du colon et, bien- tôt, que la leur, cela veut dire : la même rejaillissant sur nous comme notre reflet vient du fond d’un miroir à notre rencontre.

Ne vous y trompez pas ; par cette folle rogne, par cette bile et ce fiel, par leur désir permanent de nous tuer, par la contracture permanente de muscles puissants qui ont peur de se dénouer, ils sont hommes : par le colon, qui les veut hommes de peine, et contre lui. Aveugle encore, abstraite, la haine est leur seul trésor : le Maître la provoque parce qu’il cherche à les abêtir, il échoue à la briser parce que ses intérêts l’arrêtent à mi-chemin ; ainsi les faux indigènes sont humains encore, par la puissance et l’impuissance de l’oppresseur qui se transforment, chez eux, en un refus entêté de la condition animale. Pour le reste on a compris ; ils sont paresseux, bien sûr : c’est du sabotage. Sournois, voleurs : parbleu ; leurs menus larcins marquent le commencement d’une résistance encore inorganisée. Cela ne suffit pas : il en est qui s’affirment en se jetant à mains nues contre les fusils ; ce sont leurs héros ; et d’autres se font hommes en assassinant des Européens. On les abat : brigands et martyrs, leur supplice exalte les masses terrifiées. « 

On peut relire : « La haine est leur seul trésor : le Maître la provoque parce qu’il cherche à les abêtir, il échoue à la briser parce que ses intérêts l’arrêtent à mi-chemin« . On peut remercier BHL de nous orienter vers une aussi belle description de la manière dont les intérêts de certains sont gérés actuellement. On sera un peu plus modérés que Sartre sur les espoirs de libération de ceux qui sont exploités : il est en effet assez sûr de ses prédictions dans cette préface, on sera, nous, plus mesurés sur l’espoir que nous avons de voir ceci un jour réorienté. Cela ne change néanmoins rien aux mécanismes qui sont à l’oeuvre, qui consistent simplement à protéger des intérêts qui sont bel et bien économiques, et non spirituels. Et c’est bien économiquement qu’ils donnent la nausée, jusqu’à provoquer une haine, elle même économique. Mais ce serait bien entendu trop dangereux de placer la réflexion sur ce terrain là : Au delà du personnage médiatique BHL (quasiment une marque parmi d’autres), il y a bien entendu un homme qui comme beaucoup d’autres, de toutes nationalités, héritiers de spiritualités diverses, gèrent leurs affaires, y compris en jouant sur le terrain politique.

Et il faudra bien qu’ils se fassent à l’idée que c’est à ce titre qu’ils sont attaqués, quand bien même ils essaient de détourner l’attention sur d’autres débats, tellement graves qu’on pourrait presque se demander si on peut se permettre de leur répondre.

Eh bien, je crois qu’on le peut, précisément parce que si on sentait un tant soit peu en eux de ces dieux dont Bergson disait, à la fin de son tout dernier ouvrage (les deux sources de la morale et de la religion, sources dont ne fait pas partie l’indignation feinte) que l’univers n’est rien d’autre qu’une machine à les produire, si on percevait dans ce genre de personnage cette Energie à l’oeuvre, sans doute hésiterait on. Mais on l’a vu, derrière les grands gestes, les postures, tout ceci ne peut inspirer, finalement, que du rire.

NB : En accompagnement, un extrait du film de Quentin Dupieux (vous savez ? Le réalisateur des pubs et clips avec Flat Eric, la marionnette jaune orangée en forme de gant de toilette), Steak. Une des plus étonnantes réalisations cinématographiques de 2007, une des plus enthousiasmantes aussi. Pour le coup, un rire un peu étrange, qui nous place dans une position en permanence inconfortable. On joue à fond sur les mécanismes, les routines personnelles, les habitudes; les personnages sont des sortes d’automates réduits à n’accomplir que quelques lignes de programme, on les confronte, et ça donne un monde social. Plus que de la science fiction, il faudrait parler ici de sciences humaines fiction. C’est audacieux, ça me fait énormément penser à Tati, ces plages qui osent les silences, cette manière d’observer de manière neutre un monde qui se met en forme de manière soignée et absurde en même temps. Surtout, ça permet de vraiment saisir ce que Bergson entendait par « mécanique plaqué sur du vivant« . NB : sur le site des cahiers du cinéma, une page est consacrée à Quentin Dupieux, avec plein plein d’extraits vidéo.

Et puisque tout le monde a tenu jusque là sans broncher, et puisque c’est quand même Bergson qui est le véritable inspirateur de cet article, voici en cadeau les dernières lignes de son traité sur Le rire :

(…)le rire ne peut pas être absolument juste. Répétons qu’il ne doit pas non plus être bon. Il a pour fonction d’intimider en humiliant. Il n’y réussirait pas si la nature n’avait laissé à cet effet, dans les meilleurs d’entre les hommes, un petit fonds de méchanceté, ou tout au moins de malice. Peutêtre vaudra-t-il mieux que nous n’approfondissions pas trop ce point. Nous n’y trouverions rien de très flatteur pour nous. Nous verrions que le mouvement de détente ou d’expansion n’est qu’un prélude au rire, que le rieur rentre tout de suite en soi, s’affirme plus ou moins orgueilleusement lui-même, et tendrait à considérer la personne d’autrui comme une marionnette dont il tientles ficelles. Dans cette présomption nous démêlerions d’ailleurs bien vite unpeu d’égoïsme, et, derrière l’égoïsme lui-même, quelque chose de moinsspontané et de plus amer, je ne sais quel pessimisme naissant qui s’affirme deplus en plus à mesure que le rieur raisonne davantage son rire.

Ici, comme ailleurs, la nature a utilisé le mal en vue du bien. C’est le biensurtout qui nous a préoccupé dans toute cette étude. Il nous a paru que lasociété, à mesure qu’elle se perfectionnait, obtenait de ses membres une souplessed’adaptation de plus en plus grande, qu’elle tendait à s’équilibrer demieux en mieux au fond, qu’elle chassait de plus en plus à sa surface lesperturbations inséparables d’une si grande masse, et que le rire accomplissaitune fonction utile en soulignant la forme de ces ondulations.

C’est ainsi que des vagues luttent sans trêve à la surface de la mer, tandis que les couches inférieures observent une paix profonde. Les vagues s’entrechoquent,se contrarient, cherchent leur équilibre. Une écume blanche, légèreet gaie, en suit les contours changeants. Parfois le flot qui fait abandonne un peu de cette écume sur le sable de la grève. L’enfant qui joue près de là vient en ramasser une poignée, et s’étonne, l’instant d’après, de n’avoir plus dans lecreux de la main que quelques gouttes d’eau, mais d’une eau bien plus salée,bien plus amère encore que celle de la vague qui l’apporta. Le rire naît ainsi que cette écume. Il signale, à l’extérieur de la vie sociale, les révoltes superficielles.Il dessine instantanément la forme mobile de ces ébranlements. Il est, lui aussi, une mousse à base de sel. Comme la mousse, il pétille. C’est de la gaîté. Le philosophe qui en ramasse pour en goûter y trouvera d’ailleurs quelquefois,pour une petite quantité de matière, une certaine dose d’amertume. »

2 Comments

  1. Bon, c’est la rentrée, mon gros, qu’est ce que tu fous ? Argos, bouge le !

    Bon pour se remettre en train une petite signature pour l' »Unité pour les élections européennes de juin 2009″ sur le site http://ga54.free.fr/

    Ca ne concerne pas que les Lorrains !

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