Foucault : Crapule !

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Comme dans les commentaires de l’article précédent, on faisait un peu la fine bouche sur Foucault, et comme les archives permettent de surveiller, et pubénir quand il est légitime de le faire, on va citer un court texte, étonnant et montrant à quel point Michel Foucault savait très bien qui il était, et où il se situait. Rappelons la situation : en 1969 est créée par Edgar Faure l’université de Vincennes, Paris 8 (depuis transférée à Saint-Denis) université née des demandes de mai 68, portée sur les michel-foucault-profil_1213343707fonds baptismaux sous l’étrange appellation « Centre expérimental de Vincennes ». Rapidement dénoncée par la presse et la bien-pensance de droite comme un repère de gauchistes, Michel Foucault s’y trouve néanmoins désigné comme membre du noyau cooptant, et nommé à la chaire de philosophie.

On sait que la naissance de cette université sera pour le moins houleuse : entre les critiques politiques, les remises en question des principes de validation des U.V., de la valeur même des titres distribués et les mouvements générés par les étudiants que l’ouverture de cette université nouvelle n’ont pas anesthésiés (autant dire qu’on n’était pas exactement au genre de moment où la simple annonce d’un report d’un an de la réforme du lycée pouvait calmer son monde…), les cours ont parfois lieu, parfois pas, et on scrute qui, parmi les professeurs, participe, ou pas, aux actions de lutte et de revendication. Foucault, aussi inattendu que cela puisse paraître, semblera pour commencer relativement à l’aise avec cette ambiance insurrectionnelle permanente :

« (il) évolue avec une certaine aisance dans cette contestation ultra-gauchiste et paraît, à l’occasion, s’en donner à coeur joie dans les manifestations diverses qu’elle invente chaque jour. Au début, en tous cas. Car il semble aussi qu’il se soit fatigué rapidement. Certains pensent même qu’il a été assez traumatisé par son expérience vincennoise, par les mises en cause permanentes dont les enseignants faisaient l’objet. Bien sûr, on l’a vu la barre de fer à la main, prêt à en découdre avec les militants communistes, bien sûr, on l’a vu lancer des cailloux sur les policiers… Mais le climat de Vincennes n’était pas fait pour lui plaire durablement. (…) Foucault est resté deux années à Vincennes. Deux années mouvementées, qui seront essentielles dans sa vie, dans sa carrière, dans son oeuvre. Car c’est là qu’il revient vraiment à la politique, qu’il rencontre l’histoire, » comme un scaphandre déposé au fond de la mer et que la tempête soulève soudain jusqu’au rivage », selon l’image qu’il a lui-même employée(…). Une remontée à la surface, une entrée en politique qui doit sans doute beaucoup à Daniel Defert, qui évolue dans la mouvance maoïste. Et qui a été recruté comme assistant de sociologie à Vincennes. En fait, c’est un tout autre Foucault qui va naître en ce moment crucial. »
Didier Eribon – Michel Foucault, p. 221

On devine Foucault impliqué et distant, engagé et dégagé simultanément. On pourrait prendre ça pour de la tiédeur, il n’est pas certain que ce ne soit que cela. En réalité, Foucault sait simplement qui il est dans ce processus : un professeur. Et c’est en tant que tel qu’il s’adressera aux étudiants, dans cette intervention un peu sidérante, dont on peinerait aujourd’hui à imaginer qu’elle puisse être prononcée par un universitaire :

« Messieurs,

Je ne peux vous appeler Camarades, étant moi-même une crapule. Je dois dire que tous les professeurs sont des ordures. Ils sont toujours en retard et font profession de cultiver le retard. Le mouvement réel qui supprime les conditions existantes sera leur mort, c’est pourquoi ils travaillent au maintien de ce qui existe.

La marchandise que nous fabriquons, c’est le mensonge savant, c’est ce pourquoi l’ETAT NOUS PAYE, et c’est ce que nos singes savants d’étudiants sont avides d’acquérir, pour pouvoir devenir les praticiens du mensonge dans tous les partis et groupuscules bureaucratiques, qui veulent moderniser le capitalisme.

Nous sommes des penseurs garantis par l’Etat, mais je dois dire que notre activité bénévole la plus méritoire a été depuis cinquante ans d’essayer de cacher aux jeunes générations ce que fut l’histoire réelle du mouvement ouvrier, ses manifestations les plus grandioses : Cronstadt, Turin 1920, la Commune de Spartakus, et enfin Barcelone 1936-1937.

J’ai honte, mais cette honte ne fera pas de moi un révolutionnaire;

Messieurs, je vous salue.  »
Michel Foucault

Si Foucault en arrive à ces formulations, c’est qu’il sait, tout simplement, qu’il est professeur, et qu’à ce titre, en tant que désigné par le pouvoir politique, il a une place qui ne peut pas le mettre à hauteur d’étudiant, sauf à jouer un rôle qui sera, nécessairement, perçu par les plus lucides, comme un mensonge. Car certains compte rendus d’AG en témoignent : on ne se leurre pas vraiment sur les profs sympathisants :

« Une nuit à BEAUJON ne suffira jamais à transformer un prof ou un bureaucrate en révolutionnaire ! Jamais ces profs « gauchistes » n’ont remis en question le rapport féodal dirigeant/dirigé ni leur rôle de flics grassement payés par l’état pour transmettre sous la forme de savoir-marchandise l’idéologie dominante à leurs subalternes, les étudiants, pacifiés et passifs. Pour l’essentiel, l’ordre gauchiste n’est pas différent de l’ordre bourgeois: les enseignants enseignent, les dirigeants dirigent, etc. Judith Miller a été virée par l’état pour avoir déclaré : « J’emploierai mon énergie à faire fonctionner l’université de plus en plus mal » et elle a refusé de jouer le rôle d’exterminateur, de flic. Or, les profs qui se sont « solidarisés » avec elles se gardent d’en faire autant ; ils tiennent à leur rôle de chien de garde, de flic intellectuel, de sujet supposé savoir et ils font fonctionner plus ou moins normalement l’institution universitaire capitaliste. Qu’ils soient de droite ou de gauche le résultat est le même. Ce sont de bons fonctionnaires, de bons flics humanistes.
Quand les étudiants esclaves en prendront ils conscience et les traiteront-ils comme tels ? Quand les esclaves se révolteront ils contre les bureaucrates, les flics et les profs de gauche ? Ricoeur a reçu une poubelle sur la gueule, profs vous recevrez de la merde chaque fois que vous exercerez votre fonction de flic de contrôleur et d’obstacle.
Ca va saigner.  »
C’est signé : Comité de base quand c’est insupportable on ne supporte plus.

Au moins Foucault ne joue t-il manifestement pas à se donner bonne conscience, ni à sembler, même pas à ses propres yeux, « pur ». Et je persiste à penser que nous avons un certain problème avec cette nécessité de la pureté, en politique. A force, au beau milieu des luttes matérialistes, ça fait comme une grosse tâche d’idéalisme. D’ailleurs, le même tract s’en prend, pour commencer, aux état-majors politiques qui se posent « en propriétaires de la « vérité » révolutionnaire et réduisent les autres à un rôle d’exécutant après leur avoir fait subir des cours magistraux sur la « ligne juste » ». On imagine assez aisément l’ambiance.

Mais au-delà du regard porté sur Foucault, je relis ce tract, publié par ce comité rassemblant des étudiants qui ont toutes leurs chances, grâce à l’allongement de l’espérance de vie rendu possible par un système économique florissant, dégageant les marges nécessaires à faire progresser la médecine (soyons cyniques, un peu), ont toutes les chances d’être encore vivants.
« Quand c’est insupportable on ne supporte plus », écrivaient ils.

Il semblerait qu’aujourd’hui on supporte bien plus lourd encore.

Finalement, tout le monde s’est fait à la position de l’esclave, de la crapule, de l’ordure.

Source principale : Jean-Michel Djian – Vincennes, une aventure de la pensée critique; 2009 – formidable collecte de documents, restitués sous leur forme originelle.

27 Comments

  1. Le plus amusant, c’est l’influence de la racaille maoïste à l’époque. Cette même racaille changée au cours des années en thuriféraires de la droite la plus ignoblement sarkozyste. Et à les voir aussi à l’aise, les Glucksmann et consorts, on ne peut que penser qu’aux cochons de « La ferme des animaux » d’Orwell tellement opposés aux hommes que la fin du livre les voit se transformer en ce qu’ils ont le plus combattu…

  2. Héhé, nous avons le même regard sur ces gens là : je voulais utiliser Orwell et ses animaux pour illustrer les fameux transfuges de la soi-disant gauche récupérée, mais il aurait fallu citer l’ouvrage dans sa totalité ! Merci de permettre de l’évoquer ici 🙂

  3. C’est amusant parce qu’hier soir j’étais justement en train de lire un court texte de Foucault (intitulé : Le sujet et le pouvoir, qui peut se trouver je crois dans le tome 2 (éditions Quarto Gallimard) des Dits et écrits), qui date de 1982, soit vraisemblablement 13 ans après les faits que tu exposes. Ce texte nous a été donné à lire par un de nos professeurs (une crapule latourienne ! (et si je dis de ce professeur qu’il s’agit d’une crapule (mais bon, le terme est un peu fort de café…) ce n’est pas tant parce qu’il est professeur que parce qu’il est latourien ! (cela fait-il de moi, pour autant, un « agent » de l’ordre existant ?))), qui divise et analyse Foucault en deux périodes : une période (la première) structuraliste, et une autre, selon mon professeur moins connue et moins étudiée, plus « interactionniste ». Or dans cette brève allocution de Foucault que l’on peut voir ci-dessus, en pleine époque structuraliste selon mon professeur, on peut pourtant déjà y déceler des idées que développera plus tard un Foucault interactionniste. Cet événement de Vincennes a-t-il été, pour le philosophe, au fondement d’une nouvelle évolution de sa pensée ?

  4. Mais c’est le retour du Lulu ! On commençait à s’inquiéter depuis le temps qu’on n’av

  5. Mais c’est le retour du Lulu ! On commençait à s’inquiéter depuis le temps qu’on n’avait plus de nouvelles ! Bienvenue pour ce retour !

  6. Ah ! Le retour de l’enfant prodigieux !

    Je réponds vite, mais il me semble que cet épisode a bien eu, en effet, des conséquences sur l’orientation future de la pensée de Foucault. J’en dirai plus prochainement (suspens !!!)

  7. Merci pour le compliment, même si il est… fort de café 🙂

    Arf, vivement que le suspens soit levé ^^

  8. Généralement, c’est le Lulu qui fayote de façon éhontée : le jkrsb est ci, il est ça, il a raison sur tout, il est brillant comme ses démonstrations et voilà Socrate qui s’y colle aussi maintenant en traitant Lulu (je n’ai pas dit Alcibiade !) d’enfant prodigieux ! Lamentable…

    Un vieil aigri !

  9. Je réalise qu’en fait, ne maîtrisant pas Latour, je ne saisis pas en quoi un enseignant qui s’en réclamerait pourrait être considéré comme « crapule ». Mais je suis intéressé par la question !
    Quant aux deux phases de Foucault, je ne sais pas si ce sont deux « phases », parce que la première ne me semble pas avoir nécessairement disparu avec l’apparition de la seconde. Mais il me semble en effet qu’on peut situer Foucault dans deux territoires : celui des archives, des bibliothèques, dans un premier temps, comme s’il cherchait quelque part une expression claire, d’un programme qui serait à l’oeuvre, et dans un second temps, celui du terrain, c’est à dire celui de la mise en oeuvre du programme lui même, qui ne se contente pas de s’énoncer comme une idélologie, mais se voit « figuré » et « actualisé » sous forme de dispositifs.
    Peut être le passage de l’un à l’autre de ces territoires d’investigation se fit il lors d’une conférence que donna Foucault le 22 février 1969 devant la société française de philosophie, sur la question « Qu’est ce qu’un auteur ? ». On sait que cette intervention s’appuyait sur la formule de Beckett « Qu’importe qui parle, quelqu’un a dit, qu’importe qui parle ». Je vais retranscrire ici les mots de Eribon, que j’ai déjà un peu pillé dans l’article lui même :
    « la discussion qui va suivre l’exposé sera mémorable : elle commence par un échange assez vif entre Lucien Goldmann et Foucault. Goldmann critique le structuralisme et termine en citant cette phrase écrite par un étudiant, au mois de mai 1968, sur un tableau noir dans une salle de la Sorbonne : « les structures ne descendent jamais dans la rue ». Et il ajoute : « Ce ne sont jamais les structures qui font l’histoire, mais les hommes ». Foucault réplique assez sèchement : « Je n’ai jamais, pour ma part, employé le mot de structure. Alors j’aimerais que toutes les facilités sur le structuralisme me soient épargnées. » Puis il commente « la mort de l’homme » : « C’est un thème qui permet de mettre au jour comment le concept d’homme a fonctionné dans le savoir. Il ne s’agit pas d’affirmer que l’homme est mort, il s’agit de voir de quelle manière, selon quelle règle s’est formé et a fonctionné le concept d’homme. j’ai fait la même chose pour la notion d’auteur. Alors retenons nos larmes. » Un autre intervenant vient au secours de Foucault : Jacques Lacan. « J e ne crois pas, déclare le psychanalyste, qu’il soit d’aucune façon légitime d’avoir écrit que les structures ne descendent pas dans la rue, parce que s’il y a quelque chose que démontrent les évènements de mai, c’est précisément la descente dans la rue des structures. Le fait qu’on l’écrive à la place même où s’est opérée cette descente dan la rue ne prouve rien d’autre que, simplement, ce qui est très souvent, et même le plus souvent, interne à ce qu’on appelle l’acte, c’est qu’il se méconnait lui même ».

    Mais finalement, de cette opposition entre les structures et les actes, il me semble que ressurgit le vieux débat sur la motivation de l’action : faut il y voir l’actualisation d’une forme abstraite ? Ou bien la simple conséquence d’une détermination matérielle, simplement due au déterminisme, même quand il est complexe ? La même question se pose aujourd’hui autour des neurosciences, la même question se pose dans la cellule de Socrate, quand il se souvient, dans le Phédon, qu’il a commencé philosophé parce qu’Anaxagore ne rendait compte de l’esprit que sous la forme de causalités matérielles. Pour Socrate, seules les Idées peuvent rendre compte de sa présence dans cette cellule, et de son refus d’échapper à la mort. Pour lui, les structures sont descendues dans sa cellule, et elles prennent sa propre forme humaine. On pourrait tout aussi bien, aujourd’hui, faire une lecture beaucoup « matérialistement » déterministe de cette présence.
    Mais tout ceci se dit, sur mon clavier, dans une assez grande méconnaissance du courant interactionniste. Et je suis conscient de faire mon prof de terminale en ramenant tout à des problématiques classiques !

  10. NB : j’ai bien l’impression que l’intéressant volume de Dreyfus et Rabinow « Michel Foucault, un parcours philosophique » soit utile. Son titre anglo-saxon est plus parlant (c’est même surprenant qu’on ait à ce point édulcoré le titre en français, et plus étonnant encore, le titre originel ne figure même pas dans les informatios d’édition, du moins en édition de poche : on saura juste que l’ouvrage fut édité en anglais, on ne saura pas sous quel titre) : Beyond Structuralism and Hermeneutics. Comme par hasard, on y trouve le texte (en fait, LES textes, puisqu’ils sont deux) sur le pouvoir et le sujet. Et bien d’autres choses encore.

  11. L’interactionnisme en sociologie, c’est notamment l’idée selon laquelle l’acteur (et non pas « l’agent ») aurait un certain degré d’autonomie vis-à-vis justement des structures sociales que nous évoquons, structures qui sont pensées comme étant l’alpha et l’oméga de l’action dans les sociologies de type holiste (primat de la société sur l’individu). Les individus, dans l’interactionnisme, seraient moins « agis » qu’acteurs, et les règles sociales, structures etc., plutôt que de s’imposer à nous sans qu’on en ait conscience et sans qu’on puisse rien y changer, surgiraient de l’interaction des individus entre eux, seraient les fruits sans cesse renouvelés (ou pas, mais aussi modifiés, abandonnés ou repris etc.) de leur association et interdépendance à un instant t. Ici donc, les structures sont contingentes, et l’étonnement vient de leur stabilité et apparente « dureté » : qu’est-ce qui fait qu’une norme, n’importe laquelle, demandait H. Becker, tienne plus de cinq minutes ? La question est la même aussi pour un sociologue privilégiant le tout sur la partie, le macro sur le micro, la « société » sur l’individu, mais la (les) réponse(s) est différente.

    Mais le clivage, par commodité, est rendu plus fort qu’il ne l’est vraiment : nombre d’auteurs classés comme holistes ou interactionnistes en sociologie développent en réalité une pensée plus complexe, plus nuancée et composite qui défie cette taxinomie. Même un auteur comme Durkheim, qui prône pourtant la règle selon laquelle il faut expliquer « le social par le social » (qu’il appliquera d’ailleurs, par provocation, dans son livre Le suicide : quoi de plus personnel, privé et individuel en effet, pourrait-on penser, que le suicide ?), fera des (rares) détours par une sociologie compréhensive à la Weber (partir de l’individu).

    Un des problèmes avec Bruno Latour (qui n’en est pas vraiment un, c’est juste que ça le rend très agaçant…), c’est qu’il prétend souvent, dans ses ouvrages, que la sociologie a toujours été critique (celle de Bourdieu, qui définit les individus comme porteurs d’habitus « structurés et structurants », comme agents donc d’un ordre social que l’on reproduirait inconsciemment, parce que cet ordre se serait imprimé en quelque sorte au plus profond de nous, mais encore une fois c’est bien plus compliqué que ça, la sociologie de Pierre Bourdieu ayant évolué avec le temps, s’étant affiné etc.), toujours été holiste, simplificatrice, réductrice, surplombante… et qu’il est là donc pour redonner à l’individu ses lettres de noblesse dans une sociologie qui, depuis toujours, le mépriserait. Sachant qu’il ne peut ignorer que cet exposé, cet état de l’art, est archi-faux, deux hypothèses, comme ça de prime abord, s’imposent : ou bien dans le meilleur des cas il grossit intentionnellement les traits pour n’en que mieux finir avec une sociologie à laquelle il est radicalement opposé, ou bien, dans le pire des cas, il grossit volontairement ces traits pour n’en que mieux paraître novateur, pionnier, se rendre plus « visible » etc.

    Et c’est profondément irritant de le voir brosser un tableau grossier et erroné de la sociologie faite jusqu’à ce jour, et de le voir tirer à boulets rouges dessus comme si il s’agissait d’un panorama irréprochable. Il paraît « usurpateur » à bien des égards aussi, lorsque par exemple il propose des méthodes prétendument dernier cri, inexplorées etc., alors que, sous d’autres noms, elles étaient déjà consacrées et pratiquées avant qu’il fasse son apparition dans le champ de la sociologie. Il y a d’autres raisons encore qui font que Latour est quelqu’un de déplaisant, mais beaucoup de « latouriens » eux-mêmes le reconnaissent, et on peut voir çà et là Bruno Latour, dans ses écrits, s’excuser d’être aussi provocant. Le fond du débat cependant (car c’est quelqu’un de très controversé en sciences sociales) ne concerne pas son caractère, mais plutôt son relativisme (et tu serais bien plus habile que moi à en parler, car c’est une résurgence contemporaine (si tant est qu’elle ait un jour quitté la circulation) de la problématique liée au scepticisme).

    Là je vais aborder quelque chose d’assez difficile pour moi, parce que Latour, en même temps qu’il est souvent très clair, compréhensible voire parfois un peu superficiel, peut être aussi très ardu, déroutant, énigmatique… Il est aussi très bon en gym, je veux dire qu’il parvient souvent à couper l’herbe sous le pied de n’importe quelle critique, il est flou à souhait, protéiforme, tentaculaire… insaisissable en somme, au point qu’il y a à boire et à manger pour tout le monde dans tout ce qu’il dit, et qu’on ne sait jamais vraiment « d’où » il parle. Je vais devoir me focaliser sur la sociologie des sciences, parce que c’est là que son relativisme est le plus saillant. Pour lui, de façon indépendante des êtres humains, il n’existe pas de réel. Ce qu’on appelle « réalité » n’est que le fruit de nos interactions (entre les humains entre eux, et entre les humains et ce qu’il appelle les « non-humains », les acteurs et les « actants »), le réel n’est jamais que ce qu’on en dit, que ce qu’on en fait, le réel est donc une « performation ».

    Jusque là ça va à peu près, on sait depuis longtemps que le réel tel qu’on le perçoit n’est sûrement pas le réel tel qu’il est, que la Science a pour vocation de s’acheminer, comme tu disais, de manière asymptotique, vers la vérité, tout en la sachant « inaccessible » (un énoncé scientifique dépendant toujours des dispositifs techniques mobilisés et des cadres théoriques qui l’organise). Là où Latour est controversé, c’est en ce qu’il met le réel tel qu’il est de côté, et affirme qu’il n’est pas contraignant, qu’il n’a aucune incidence sur le réel tel qu’on le perçoit. Latour est donc un constructiviste radical, il y a une infinité de mondes possibles, et si il y en a un parmi eux qui est présenté comme le bon, et qui efface les autres, si jamais il y a un paradigme dominant quant au « réel », ce n’est pas tant en raison du réel lui-même qu’en raison de la résultante d’un rapport de force qui aurait tourné en faveur des tenants du paradigme devenu dominant…

    Un principe phare de Latour, mais qui existait encore une fois bien avant lui, c’est « qu’il n’y a pas de donné, il n’y a que de l’obtenu ». Clairement, le problème que ça pose pour les sciences dures, c’est la question de la « rationalité scientifique », qui est ici complètement relativisée : le « vrai » est un construit social. A ce stade de la réflexion, en guise de conclusion de ce très (peut être trop !) long commentaire, je laisse la parole à des personnes bien plus compétentes que moi, dont je partage tout à fait la position :

    « Les relativistes adeptes d’un constructivisme social ont eu le mérite de mettre l’accent sur la dimension proprement humaine des sciences qu’avaient évacué l’empirisme logique et le falsificationnisme poppérien. Mais le résultat de leur entreprise a consisté trop souvent à nier la rationalité à l’œuvre dans l’entreprise scientifique. Ce faisant, ils ont cédé à la tentation de penser cette dernière en termes d’une loi du tout ou rien, en considérant trop souvent que ce qui n’est pas pleinement et immuablement rationnel, objectif et vrai, n’est en fin de compte pas rationnel, objectif et vrai du tout. Ils en sont ainsi parvenus à l’affirmation que le réel était construit socialement. Or la rationalité gagne à être conçue en termes de plus et de moins. Elle a une histoire : chaque innovation théorique ou expérimentale a un acte de naissance. Avant le XIXe siècle, il n’était pas possible de recourir à un argument statistique par exemple. Mais la rationalité n’est pas pour autant réductible à cette histoire. Dès lors que l’on ne prétend pas atteindre, quant à notre connaissance du réel, une certitude définitive, il est plus judicieux de considérer que le rationalité revêt la forme, dans les sciences de la nature, d’un travail de construction d’ajustements robustes entre théories, expériences, savoir-faire, et croyances au-delà desquels il ne paraît plus raisonnable de douter. Ces ajustements robustes nous permettent de comprendre certains aspects du réel et d’agir sur eux. » (Allamel-Raffin C., Gangloff J.-L, La raison et le réel, édition Ellipses, 2007, pp. 113).

    (Si la question intéresse, on pourra lire ce livre magnifique, mais malheureusement non-achevé du fait de la mort prématurée de son auteur : Berthelot J.-M, L’emprise du vrai. Connaissance scientifique et modernité, PUF, 2008).

  12. Et pour Foucault je suis d’accord avec toi ! Je n’ai pas l’impression qu’il y a une franche séparation entre un « premier » et un « deuxième » Foucault, mais plutôt une déclinaison spécifique et cohérente. Au regard de ce qui nous intéresse, son principal apport, dans l’un des deux textes intitulés Le sujet et le pouvoir (je ne sais pas lequel j’ai exactement), c’est ce me semble de dire que le pouvoir « s’exerce », ce qui redonne de la puissance au sujet, à l’individu : celui-ci peut ne pas être aliéné, il est dans ce cadre doté de la faculté de résister (faculté qui lui est complètement ôtée dans une sociologie de type holiste pure et dure).

  13. J’ai vraiment l’impression d’avoir cassé les pieds à tout le monde là… je n’ai même pas de réponse et je ne suscite aucune réaction ! Me sens seul…

  14. Héhé, pardon, il ne s’agissait pas de t’abandonner, mais simplement de disposer de temps, pour digérer la masse d’informations, et être apte ensuite à répondre. Je ne fais qu’un petit saut ce matin, mais je reviendrai dans le week end pour développer une réponse. Mais comme ça, a priori, je me demande juste comment on peut décrire la « certaine autonomie » dont feraient preuve les agents selon l’interactionisme : cela débouche t il sur une théorie de la liberté ? S’agit il d’une part de libre arbitre qui serait à la source de tout véritable mouvement social (ou, du coup, si je comprends bien ce que je lis ici, de tout mouvement dans le social) ? Ou bien s’agit il d’un « jeu » (comme on dit qu’il y a du jeu dans une pièce mécanique) ?
    Je ne rebondis pas sur la question de la construction de la rationalité, ça va me prendre un peu plus de temps !

    Mais tout ça me stimule, j’avais besoin d’un peu plus de répondant que ce que les élèves peuvent offrir actuellement 🙂

    Merci !!!

  15. Ah ah ! En réponse à cette question, je crains que mon répondant soit ici limité : je ne suis pas suffisamment « expert » des courants interactionnistes pour déclarer avec certitude si oui ou non il y a une théorie de la liberté sous-jacente et afférente. Cependant, j’aurai tendance à répondre par la négative : il n’y a pas à ma connaissance, formellement en tout cas, une théorie de la liberté, en revanche la liberté des acteurs me semble bel et bien, au sein du courant interactionniste, un postulat de départ et un parti pris.

    L’idée, c’est que supposer que l’acteur est « libre » rend bien mieux compte de la réalité que lorsqu’on prétend décrire cette réalité en supposant que l’acteur est agi, et serait le dépositaire de structures qui présideraient à son action. En général, ce qui est reproché à une sociologie à la Bourdieu par exemple (donc les théories de la domination), c’est pour ainsi dire la magnificence de la théorie, sa perfection qui ne laisse place justement à aucun « jeu ». Ces théories sont dotées d’une puissance explicative proprement incroyable, elles sont donc très séduisantes et attirantes, mais lorsque on part enquêter sur le « terrain » dans la perspective qu’induisent ces théories, on s’aperçoit, à condition de bien vouloir se remettre en question disent certains sociologues, que le terrain « résiste ». Il y a deux postures possible : ou bien on recueille la parole de l’acteur comme étant la parole d’un agent dominé, qui n’a pas conscience de l’être bla bla bla, et dans ce cas seul le sociologue est à même de voir la vérité (comme seul le philosophe est à même de sortir de la grotte) et de la restituer ; ou bien on reste attentif à l’inattendu, on prend en compte les dissonances et on donne un petit peu plus de valeur à la parole de l’acteur (ici en quelque sorte, c’est le terrain qui va permettre la théorie, tandis que dans le premier cas, la théorie « fait » le terrain, elle lui impose ses vues et elle pourrait même presque s’en passer. L’équilibre réside souvent dans un mariage entre les deux : « Pas de théorie sans faits et pas de faits sans théorie » disait F. Simiand). Beaucoup de sociologues proposent même leurs analyses, interprétations, vision des choses etc. aux enquêtés : si ils s’y reconnaissent, la théorie est satisfaisante, si ils ne s’y reconnaissent pas, la théorie est imparfaite et doit être revue, approfondie, modifiée.

    Maintenant, si l’acteur est supposé libre, il n’est pas supposé se mouvoir dans le vide, sans contrainte aucune. Nous sommes pris dans des rapports qui limitent notre liberté d’action, mais passer du paradigme de la domination à celui du pouvoir (on retourne à Foucault), c’est considérer que ces rapports sont réversibles (et là on comprend mieux les phénomènes, omniprésents, de « contre-pouvoir », de résistance, de lutte etc.)…

  16. Amis intellectuels, bonsoir. Depuis quelques semaines que la tension montait, je me disais bien que Bruno Latour allait bien finir par se retrouver crucifié un de ces matins. Voilà qui est fait : reste à savoir s’il pourra s’en remettre ou si nous avons assisté au commencement de la fin d’une escroquerie sociologique.

    Cet après-midi et pas tout-à-fait par hasard (à cause du réalisateur Emmanuel Salinger dont je n’ai jamais su si c’était un philosophe qui faisait l’acteur, ou un acteur avec un back ground de philosophe), j’ai vu « La grande vie » du réalisateur sus-nommé qui revient à ses doubles premières amours : la réalisation (eh oui dans la famille cinéma, il ne faudrait pas en principe demander ES comme acteur mais comme réalisateur, c’est sa formation de base) et la philosophie. Compte tenu de ce que je crois avoir compris, pouvoir trouver le film diffusé dans une salle doit à peu près être équivalent à la recherche d’un homme menée en son temps par un certain. En deux mots, c’est un bide. A priori, compte tenu de la tête d’affiche (Michel Boujenah…) on ne peut pas vraiment compter sur notre ami jkrsb pour avoir contribué à maintenir le film à l’affiche. Ce qui est un peu inattendu, c’est que c’est une comédie, registre dans lequel on n’attend pas forcément un des acteurs habituels d’Arnaud Desplechin (dont un des co-scénaristes favoris est un certain Emmanuel Bourdieu, philosophe de son état et fils de…, ah le monde est décidément délicieusement petit).

    Bon, tu nous gaves là, s’exclame la foule (enfin jkrsb et Lulu) pas franchement en délire, mais à vrai dire vu la longueur habituelle des contributions ici (et voilà que le Lulu s’y colle aussi), je ne vois franchement pas en quoi je suis dans l’outrance. Venons en malgré tout au fait.

    Le fond de l’affaire c’est que ce film raconte l’histoire d’un professeur de philosophie de Saint-Etienne (à ce propos on me permettra de protester énergiquement quand une partie des déplacements entre la capitale du Forez (ah le nom de l’Astrée pour la librairie stéphanoise, quelle idée exquise) et Paris du dit philosophe est figurée par un tgv Atlantique qu’onc ne vit quidam sur cette ligne) entraîné volens nolens dans la vie des médias dans ce qu’ils ont de plus répugnant (personnalisée (c’est le jkrsb qui va être content justement) par Michel Boujenah). Mais c’est aussi une illustration amusante et à la portée de tout un chacun de l’utilisation d’un certain corpus philosophique dans la vie de tous les jours. C’est assez drôle et plutôt efficace.

    Dans les à côtés, je retiendrai quand même l’image, fort réjouissante par les symboles associés, d’un portrait de Monsieur Nicolas Sarkozy, président de la république, se détachant du mur sous une pluie de billets de banque.

  17. A mon tour de jouer au moine copiste :

    « Si l’on veut expliquer pourquoi Foucault a soutenu Glucksmann, il faut sans doute se pencher sur son utilisation des médias dans le cadre de sa propre stratégie de consécration intellectuelle. Dans les années 1960, il a réussi à transformer sa renommée universitaire en une célébrité plus vaste dans le monde de la culture par le biais des revues intelectuelles et de la presse culturelle. Il accède assez vite au statut de superstar intellectuelle avec la publication de « Les mots et les choses », ouvrage longuement débattu dans la presse et qui devient un best-seller à l’été 1996. Cette célébrité culturelle est, à son tour, un facteur important qui contribue à l’élection de Foucalut au Collège de France en 1970. Au cours des années 1970, Foucault continue à être animé par une soif de reconnaissance sur la scène intellectuelle et écrit des livres qui abordent des questions éminemment contemporaines. Même si Gluscksmann déforme peut-être les idées de Foucault, il est un bon allié dans sa quête de reconnaissance, en particulier lorsque « La volonté de savoir » est beaucoup moins bien accueillie en 1976 que Foucault ne s’y attendait. Gluchsmann se livre à des éloges dithyrambiques de Foucault dans des livres qui se vendent bien et sont promus dans les médias. Selon lui, Foucault est le premier, depuis Marx, à interroger systématiquement « les origines les plus immédiates du monde moderne » ! »

    Michael Christofferson – Les intellectuels contre la gauche. Agone éditions, 2009.

  18. Ah !! C’est étonnant que Salinger débarque ici par surprise, parce que le peu que j’ai vu de ce film m’a donné envie de le voir malgré la présence de Boujenah (c’est dire si des fois, on peut faire un effort !) et il fait partie des toiles que je compte me faire, pou peu que ce soit encore possible, entre deux réunions parents/profs et une armada de conseils de classe. (mais je ne comprends toujours pas comment on a pu aller chercher Boujenah pour un tel projet. Enfin, je comprends peut être un peu, mais ça me semble voué à l’échec.

    Quant à Glucksmann, à vrai dire, je ne connais pas beaucoup. N’ayant rien lu de lui, mais voyant son nom apparaître à droite à gauche, associé, en acolyte, aux noms les plus divers (les dernières frasques en sont un témoignage frappant. Dès lors, pour moi, ce n’est pas beaucoup plus qu’une coupe de cheveux et un opportuniste.

    Eribon résume bien le personnage en quelques mots : « André Glucksmann, un ancien élève de Raymond Aron qui a viré au gauchisme le plus extravagant et le plus sectaire ». La messe aurait été dite s’il ne s’était encore, par la suite, associé à Sarko. Ce serait son requiem si on pouvait imaginer une fin à l’épisode politique que nous connaissons, et si le paysage politique international ne permettait pas à ces croque-morts de la pensée de s’illustrer en se scandalisant à bon compte des horreurs du monde et en carressant cependant le pouvoir local dans le sens du poil. Mais on ne mord pas les mains qui nourissent.
    Au moins, Foucauld aura t-il évité ce genre de bassesses. Après, je ne sais quoi penser des sinusoïdes sociales et politiques dont sont capables nos intellectuels. Je me doute qu’une partie est due à l’enfer que semble être l’université, et qu’il fut nécessaire d’assurer une reconnaissance à la pensée en dehors de ce cimetière, et que le net n’existant pas, il fallait s’assurer une audience médiatique. Néanmoins, on ne peut que reconnaître le fait que ce désir de reconnaissance produise, souvent des parasites dans la pensée elle même, dont commentateurs et biographes eux mêmes ont du mal à se sortir.

    En revanche, sur la question des sujets « populaires » ou « actuels », je ne suis pas sûr que cela constitue nécessairement l’objet d’une critique grave. Tous ceux qui sont soucieux de transmettre des schémas de pensée, et de les mettre à l’épreuve du réel le font. J’ai parfois l’impression que c’est mon boulot, de maintenir la tension entre les questions actuelles et les problèmes intemporels, et je me méfie de ceux qui ne le font jamais. Mais je me trompe peut être.

  19. Au final, les laissés pour compte, ben c’est toujours les mêmes (voire toujours LE même) ! Peut être que si je changeais de pseudo… 🙂

  20. Héhé, c’est juste que tes dernières interventions donnent un peu de fil à retordre pour y répondre comme ça vite fait !

    En fait, si je ne m’abuse, une bonne part du problème vient du fait qu’on semble décidément chercher dans les comportements humains des lois, des régularités de fonctionnement qui ne se vérifient que quand on étudie les masses, autrement dit à l’échelle de la statistique. Mais la physique quantique a montré depuis assez longtemps qu’on peut être confronté à un déterminisme statistique tout en observant des comportements individuels (ou plutôt, au cas par cas) hasardeux (hasard qui, dans le comportement humain, porte habituellement le nom de « libre arbitre », il me semble, s’il est total).
    Dès lors, ne chercher que des lois chez l’homme semble relever toujours du réductionisme, tant qu’on n’y ajoute pas la recherche de sens. Alors, seulement, la trajectoire jamais tout à fait conforme de tel individu par rapport aux déterminismes qu’il est censé respecter peut devenir compréhensible.
    Peut être y a t-il une tendance intellectuelle à réduire le sens à la loi. Peut être même y a t-il une tendance politique à produire un individu conforme aux lois selon lesquelles on le programmerait, et qui puisse s’y résoudre. Mais de fait, si une telle entreprise était menée, c’est bien à une déshumanisation qu’on serait confronté, ce qui semble suffir à montrer que l’homme est autre chose.
    Quand on trouve, chez Foucault, des perspectives qui consistent à faire de sa vie une oeuvre d’art, il me semble bien qu’il y a quelque chose de cet ordre qui se dit. Quand on lit, sous sa plume, que l’homme est une figure en disparition, il me semble qu’il y a, aussi, quelque chose de cet ordre : perdre l’homme comme objet pour le retrouver sous forme de trajectoire. Et là me semble résider la connexion avec Deleuze : abandon des racines, découverte du principe du rhizome. J’ai l’impression, d’ailleurs, de ne tourner qu’autour de ce principe.
    Mais je me demande si les sciences humaines (entendues ici à l’exception de la philosophie, qui a toujours le don de se mettre « ailleurs ») ont vraiment saisi, jusqu’au bout, ce que signifie cette disparition de l’objet.

  21. Oui, sincèrement je crois que oui (bien qu’il y ait encore des « résistances », peut être liées à ce penchant intellectuel auquel tu fais allusion, celui de vouloir réduire le sens à des lois. En sociologie, cette perspective nomologique, ou « nomologiste », est peut être aussi liée au besoin qu’elle a pu avoir, et qu’elle a peut être encore de temps à autres aujourd’hui, d’être considérée comme une discipline véritablement « scientifique », la « scientificité » souhaitée étant ici celle des sciences de la nature).

    L’individu comme trajectoire et non plus comme objet, numéro (puisque tu as évoqué les statistiques), c’est bien quelque chose, à mon avis, d’intégré en sciences sociales, du moins en sociologie, où l’aspiration positiviste s’est progressivement essouflée.

    Je n’ai malheureusement pas le temps de développer davantage, mais j’aurais voulu évoquer, pour preuve, des sociologues comme Castoriadis (qui parle d’autoconstitution des sociétés, de l’auto-nomie des individus et des groupes, de « l’imaginaire radical » etc.), mais il y en a beaucoup d’autres qui ne cherchent plus (et depuis longtemps) à réifier le monde social ; en revanche, un Bourdieu par exemple, philosophe de son état, aura été quelqu’un qui luttât contre cette idée d’ipséité de la personne…

    Mais plus tard !

  22. je précise : je ne délaisse pas hein !!! Je corrige juste trop de copies. Et accessoirement, je participe à la vaine tentative d’instauration d’un semblant d’ordre dans un lycée soudainement pris d’une ferveur algérienne que les véritables algériens auraient sans doute appréciée lorsqu’ils subissaient des épisodes historiques autrement plus cruciaux que le franchissement de la porte d’entrée dans le mondial de foot. Mais c’est peut être ça, l’identité nationale, maintenant. Enfin, bref, je ne développe pas ça maintenant, parce que je vais pas faire mon quota de copies. Ce soir, peut être, si je suis sage !

  23. Bonjour,

    j’ai le plaisir de vous annoncer la parution de notre ouvrage collectif sur l’histoire de l’université de Vincennes. Pour en savoir plus:

    Charles Soulié (dir.), Un mythe à détruire ? Origine et destin du centre expérimental de Vincennes, Paris, Presses Universitaires de Vincennes, février 2012

    « Cet ouvrage se livre à une histoire des premiers pas de cette institution hautement paradoxale, car foncièrement anti institutionnelle. C’est donc à une véritable exploration de l’inconscient académique qu’invite ce livre qui, rompant avec la vision politique ordinairement de mise quand on pense l’histoire de l’université française d’après 68, dévoile quelques-uns des enjeux académiques, intellectuels et pédagogiques sous-jacents à cette formidable expérience collective. »
    Vous trouverez à l’adresse suivante l’introduction de Charles Soulié.
    http://www.puv-univ-paris8.org/collections/hors-collection/un-mythe-a-detruire–9782842923334-22-525.html

    Sommaire

    Réinventer l’histoire des universités
    Christophe Charle

    Présentation générale
    Charles Soulié

    I – Les prodromes de Vincennes

    La recomposition des facultés, disciplines dans l’université française des années soixante
    Charles Soulié

    Mai-juin 1968 : acmé d’un contexte de crise universitaire
    Christelle Dormoy

    II – Des rêves aux réalités

    La division du travail d’institution
    Christelle Dormoy

    Le recrutement des premiers enseignants de Vincennes
    Christelle Dormoy

    L’irruption de la dynamique étudiante
    Charles Soulié

    De la politisation des questions pédagogiques
    Charles Soulié

    Des humanités aux « humanités modernes »
    Charles Soulié

    Jeux d’échelle entre les premiers pouvoirs universitaires vincennois : 1968-197
    Jean-Philippe Legois

    III – Perspectives disciplinaires et monographiques

    L’anglais de la Sorbonne à Vincennes
    Marie-Pierre Pouly

    La sociologie à Vincennes : une discipline dispersée
    Frédéric Carin, Lucie Letinturier, Javier Rujas, Charles Soulié

    Un soubresaut de 1968, la parenthèse critique de l’économie politique à Vincennes
    Brice Le Gall

    Voyage en terre d’asile académique
    Éléments pour une histoire sociale des étudiants étrangers de Paris VIII et d’ailleurs
    Brice Le Gall, Charles Soulié

    Poursuivre
    Charles Soulié

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