Les pauvres, la honte

In "CE QUI SE PASSE", MIND STORM, PROPAGANDA
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L’électorat a besoin d’images édifiantes.

Au cas où il ne l’aurait pas compris, on va lui montrer que la nouvelle identité nationale est tout simplement incarnée par cette mineure partie de la population qui est, tout simplement, riche. Pour s’en convaincre, on montrera de quoi sont capables les pauvres quand on leur promet du fric, et qu’au dernier moment, on le leur refuse. On vérifiera à cette occasion que les pauvres ne savent pas se tenir. Et qu’ils n’ont aucune intention de bosser, préférant venir chercher l’argent là où on le leur offre gratuitement, refusant la belle générosité de nos dirigeants, proposant à qui en veut bien de travailler plus, pour gagner plus.

Ainsi, si on veut être édifié sur les moeurs dégradées des pauvres, il suffit de les rassembler, suffisamment nombreux, en leur promettant de distribuer 100 000€, dans des enveloppes contenant entre 5 et 500€. N’importe qui d’un peu perspicace imagine assez facilement le bordel qu’une telle générosité peut provoquer, les choses étant FRANCE MONEY HANDOUTce qu’elles sont. Maintenant, prenons le même dispositif, rassemblons 5000 personnes devant la Tour Eiffel, et juste avant la distribution, annonçons leur que tout compte fait, la boite en question préfère ne pas distribuer l’oseille. Juste pour voir ce que ça donne.

La suite, on la connait. Frustration, défoulement. Rien d’autre que ce à quoi on pouvait s’attendre.

Maintenant, la question, c’est : est on suffisamment paranoïaques pour penser qu’il s’agit là de quelque chose qui est voulu, et organisé ? Et pire encore : Peut-on voir là un geste politique ? Pour ce qui est de l’organisation, de deux choses l’une : soit c’est une équipe d’amateurs qui est aux commandes, et on comprendrait que l’opération finisse en fiasco. Soit le fiasco n’en est pas un, ce qui voudrait dire que la mise en scène serait maîtrisée, et que tout cela s’est déroulé, tout simplement, comme prévu. D’un point de vue extérieur, nul besoin d’être devin pour se dire que tout ceci, depuis la pose des appâts jusqu’à la levée des bestiaux, ne pouvait pas finir autrement. Mais le point de vue intérieur est plus intéressant.

En effet, l’équipe qui se trouve derrière le rideau de fumée de l’actualité n’est pas « tout à fait » inconnue. Un nom en particulier, s’il n’est pas le plus célèbre, va nous rappeler un épisode qui, par de nombreux points, rappelle celui qu’on a évoqué. Stéphane Cola, s’en souvient on ? C’était lui qui voulait améliorer l’efficacité de l’éducation nationale en faisant noter les profs par les élèves. Autant dire un saint homme qui, par son site note2be.com, ne visait que le bien de l’humanité, et luttait farouchement contre contre la démagogie.

Rappelons ce détail amusant : Au moment où note2be.com faisait son apparition météorique sur le web, il apparaissait sur la liste menée par Lelouch aux élections municipales à Paris. Voici donc comme un bon petit soldat de l’UMP voit le monde en général, et l’éducation en particulier.

Entre temps, une autre initiative à but éducative fut prise sur le net : proposer aux élèves de progresser en faisant leurs devoirs à leur place, contre monnaie sonante et trébuchante : Stéphane Boukris (il est donc écrit que ce prénom est maudit) était à la tête de ce projet altruiste, qui dura quelques heures avant de sombrer, juste le temps pour lui de se faire repérer… et que le lien entre les deux Stéphane se tisse.

0118000000517365Et c’est ainsi que Stéphane Boukris intégra l’équipe de Rentabiliweb en 2008, pour s’y placer sous les ordres de … Stéphane Cola, au sein d’une structure nommée Mailorama (précisément celle qui nous vaut le coup médiatique du jour), histoire d’y former un grand pôle éducatif, sans doute. On en cherchera une preuve ? La voici : http://www.faitesvosdevoirs.com/. Comme il est probable que les projecteurs aidant les Stéph’ânes à devenir raisonnables, et à virer cette page d’accueil, on précisera ici que l’un des slogans utilisés annonce : « Je n’ai pas fait mes devoirs, je suis une buse, je postule à l’ANPE ». La classe, en somme.

Ainsi, on voit bien, quand même, où se situe ce petit monde, politiquement parlant. Et on voit bien, aussi, comment ces gens là, avec les revenus qui sont les leurs, considèrent les pauvres, et réussissent à les mettre en scène aux yeux de ceux qui votent pour les programmes politiques qui vont rendre les conditions de vie encore plus favorables pour leurs propres affaires. Tout ceci est parfait.

Encore une couche d’édification ? Si le groupe Rentabiliweb est majoritairement détenu par son créateur, Jean-Baptiste Descroix-Vernier (le genre d’homme qui semble devoir montrer qu’il vit au 21è siècle en empruntant tous les poncifs du vingtième : dreadlocks sur la tête, et installation dans une péniche (oui, comme Highlander, il a bien l’air d’être dans ce trip là)), le capital a été entre temps ouvert à des investisseurs eux aussi altruistes. Que du beau monde : Groupe Arnaud, La Financière (société de Stéphane Courbit (oui, pour le prénom, c’est simplement une malédiction !), ex associé d’Arthur dans la boite de production humaniste Endemol. Mais il y a mieux encore, puisqu’au conseil d’administration, autour de la table, on trouvera des gens qui ont déjà fait leurs preuves, tels que Jean-Maris Messier (une sorte de silence inquiet s’installe dans le paysage, on sent le vent se lever, les femmes rapprochent les enfants de leurs jupes, comme lorsqu’on pressent l’approche de grands dangers), accompagné d’Alain Madelin (là, le vent lui-même s’arrête, les corbeaux se vautrent carrément des arbres, les gamins tombent raides morts aux pieds de leur mère prostrée, qui ne se rend compte de rien, le son du tonnerre au loin s’est figé dans l’atmosphère, les moutons dans les prés décident subitement de se mettre en grève illimitée pendant que le choeur des chèvres de la légion entonne l’intégrale des oeuvres de Penderecki).

Il y a donc bien une tendance politique derrière la manière dont on met en scène les pauvres dans ce pays. Et n’importe qui remarquera facilement à l’image (et c’est bien ce qui, pour le plus grand nombre, fait foi) que ces pauvres ont bien l’air d’être, aussi, des étrangers. Au moment où tous ensemble nous sommes conviés à nous poser la question de l’identité française, force est de constater que non seulement on compte nous pousser, tant que faire se peut, vers une conception plus blanche de la françosité, mais qu’on essaie aussi de faire entrer dans la nationalité un critère tout simplement économique : être français, c’est être friqué. Et c’est pour ça qu’on peut en être fier, parce que les pauvres, c’est la honte.

7 Comments

  1. Merci.
    Ajoutons toutefois ceci, qui cadre encore un peu mieux le « contexte » :

    « On lui prête un rôle important dans l’élection d’Irina Bokova à la tête de l’Unesco. Convaincu par Bernard-Henri Lévy et quelques autres du danger d’élire l’Egyptien Farouk Hosni, il a habilement popularisé sur le net les bourdes et dérapages de celui-ci. Avec l’efficacité que l’on sait »…

    http://www.rentabiliweb.org/actualites/jean-baptiste-descroix-vernier-is-watching-you-1472.html

  2. Merci, Henri, de compléter ce que l’écriture tardive du post m’a fait oublier d’intégrer dans l’article ! Quand j’avais lu l’article du Figaro, dans ce paragraphe où débarquent l’Unesco, BHL & c° j’ai eu brusquement l’impression que le journaliste avait par erreur copié collé un paragraphe venant d’un autre article, sur un tout autre sujet, avant de comprendre à quel point ce type pense, avec toute la bonne conscience qui semble l’animer, que puisqu’il a les moyens de le faire, il peut se permettre de diffuser, et imposer, (parce que ses justifications sur le thème « le Net est un media tellement plus démocratique que la télévision, si on se souvient que les journées ne font que 24h, que le boulot abrutit suffisamment son ptit monde pour que le quidam aille directement à ce qui, dans la journée, fait du buzz sur la toile, sans chercher à aller plus loin, et que seuls, finalement, quelques chanceux bénéficient d’un job où ils disposent d’une connexion au net, des outils intellectuels pour le maîtriser (ce qui ne se réduit pas à son utilisation), et du temps pour le faire), ne suffisent pas, et de loin, à étayer son manque de scrupules) ses propres vues sur le monde. Or, on le voit bien à la fin de l’article que vous citez (qui se trouve, l’adresse le montre, repris sur le site même de ce gars, ce qui en dit long, aussi, sur la manière dont, comme chez Audiard, il semble n’avoir honte de rien, et oser tout), pour lui, le monde se réduit à la sphère du travail : publier une photo de soi sur le net, c’est comme passer un entretien d’embauche. La fusion entre ces deux sphères doit être, d’après ces gens là, totale. Mais dans ce domaine, il n’y a fusion que s’il y a confusion. Et Descroix-Vernier ne se rend même pas compte qu’en publiant lui même ce genre d’affirmation, il ne laisse finalement aucune possibilité de réplique, de critique, à la plupart de ceux qui le liront, parce que précisément, il est employeur, que l’écrasante majorité des hommes veulent être employés, dans un contexte où c’est loin d’être évident. Certes, tous ne veulent pas l’être par lui, mais par une sphère de dirigeants qui pour une bonne part cherche à diffuser ce type de discours sur la toile, et à imposer cette idée, qui ne sera pas acceptée sur la base de la belle liberté d’esprit dont Descroix-Vernier semble aimer faire la promotion, mais à cause, tout simplement, du fait que lui et ses semblables mettent sur pieds, et vendent, des systèmes de tracking sur le net, qui permettent de saisir de manière profonde, et fine, les caractéristiques, goûts, orientations, engagements de tout un chacun. L’objectif est alors tout, sauf la liberté de pensée et d’expression, mais au contraire l’uniformisation du discours et des pensées pour les rendre conformes à ce que le marché et l’exploitation du travailleur exige. Dès lors, on comprend que l’éducation soit la cible privilégiée de ces gens là, et doublement : 1 – c’est un secteur public qui peut encore être marchandisé. 2 – c’est une source potentielle de discours échappant au contrôle. Note2be et faismesdevoirs sont des projets morts nés, mais en fait réussis en terme de communication : tels des phares disséminés ça et là dans l’océan de la toile, ils ont réussi à faire se rencontrer ceux qui envisagent le monde de la même manière. Leur site, quand on le fouille un peu, témoigne du fait qu’ils comptent, encore, attaquer ce qui, faute de défense, particulièrement de la part de ceux qui devraient être le premier rempart (le ministère), s’apparente de moins en moins à une citadelle.
    Tout ceci est un peu en vrac, là, je sens qu’il va falloir le reprendre de manière plus ordonnée, mais merci d’avoir ouvert cette porte là !

  3. Ce qui ne colle pas dans le tableau, c’est que j’ai entendu que les 100 000 euros devraient finalement être remis au Secours populaire. La soupe populaire des identitaires (soupe 100 % cochon) on aurait compris. Le Secours catholique, pourquoi pas ? Mais le Secours populaire, ce n’est pas raccord.

    Quant à Penderecki, bien que ce soit un infâme calotin, tu seras gentil de le laisser en dehors de ça. Ne touche pas non plus à Arvo Pärt, malgré les mêmes raisons.

  4. Mes doigts ont balancé un instant entre Part et Penderecki, au dessus du clavier, et je ne sais pourquoi j’ai osé souiller l’un plutôt que l’autre !
    Quant au secours populaire, en fait, il était déjà prévu avant l’annulation de l’opération au nez et à la barbe des pauv’gens de lui donner une part de l’argent distribué. Ce n’est donc pas « finalement » que 100 000 € seront distribués, mais ça faisait partie de « l’ambiance » de l’opération. A mon avis, il s’agit moins de donner de l’argent que de montrer au public, qui n’assume pas encore de voter pour le cynisme, qu’on n’est pas intéressé par le fric, qu’on veut vraiment le donner, et qu’on n’est pas encore assez raciste pour le donner à la soupe au porc ou à des pauvres cathos. Mais, de fait, ce n’est plus de racisme qu’il s’agit, mais d’une xénophobie adressée aux pauvres, dont il s’agit de se mettre à distance.
    Ca semble un peu exotique dans la démarche à la con de mailorama, mais finalement, le diable, lui aussi, écrit droit sur des lignes courbes.

  5. Merci de votre (long) commentaire !
    Concernant le Secours Populaire, celui-ci est une officine du Parti Communiste, créé pour faire pièce au Secours Catholique.
    Or, en reprenant un peu l’histoire du Bolchevisme, on vérifie que ces mouvements « révolutionnaires » (et les organes de presse qui répandent leurs théories) sont tous financés par la Grosse Banque…
    Donc pas d’incompatibilité profonde.
    (Voir Karl Kraus).

  6. Merci pour les précisions sur le Secours populaire. Un adhérent de longue date est toujours heureux d’apprendre qu’il est manipulé par Moscou (ah, non, plus Moscou !), La Havane et Pyongyang ! Et puis ce terme d’officine est d’un délicat ! Oui, vraiment que du très bon goût dans ce message…
    A votre liste, je vous suggère d’ajouter la CGT et le MRAP et vous gagnerez un abonnement gratuit d’un an à Valeurs actuelles, à moins que vous ne préfériez Minute, si ce torchon paraît encore !

    Certes je m’agace, mais s’il n’y avait pas les militants du Secours populaire (dont certain sont membres du PC, et alors ?), il y a bien des enfants qui ne connaîtraient pas le Père Noël (même si le nôtre est vert !) et à qui la seule journée de vacances que nous leur offrons (grâce à l’aide de municipalités communistes, oui, mais pas seulement) resterait inconnue !

    Au fait la Grosse banque, elle serait pas un peu juive des fois ?

  7. Henri, ce qui m’épate parfois, c’est la manière dont on choisit ce qu’on va désigner comme ennemi. On regarde le monde autour de soi, on le scanne, et on va désigner comme adversaire… le secours populaire…
    Peut être que dans un monde qui serait à un cheveu d’être parfait, on pourrait effectivement être tatillon au point de s’attaquer au secours pop’ pour telle ou telle raison. Mais en réalité, dans un monde qui serait aussi avancé dans l’asymptote vers la perfection, le secours populaire aurait disparu depuis belle lurette, faute de missions à accomplir.
    Je sais que j’attaque sous un angle qui n’est pas le vôtre, et que je ne réponds pas à la question des origines. C’est peut être que je n’en ai pas l’obsession.
    Mais il est vrai que sur ce terrain comme sur d’autres, quand on veut tuer son chien, on crie à qui veut bien l’entendre (et veulent bien l’entendre tous ceux qui n’ont pas envie de le nourrir) qu’il a la rage : penser que le secours pop’ serait d’origine communiste le rendrait suspect… en même temps, on imagine en effet assez mal qu’il soit l’émanation des cabinets UMP, c’est pas exactement l’esprit qui semble animer ce courant. D’autre part, pour ce qui est de savoir d’où viennent les financements, je ne sais quelle « grosse banque » (si c’est pas chausser ses bottes de septs lieues pour faire un grand pas en arrière que de parler ainsi…) soutient le secours pop’. En revanche, je sais qu’il fut un temps où l’Etat soutenait les associations qui font un boulot utile pour le bien commun, et je sais que l’Etat se désengage de ce soutien, parce qu’il a mieux à faire, et de meilleurs êtres humains à servir (les bénéficiaires du bouclier fiscal, par exemple). Ce qui m’importe alors, c’est moins d’où vient maintenant l’argent que d’où il ne provient plus. Ce que je vois aussi, c’est que quelques centaines de milliers d’euros vont tomber dans les caisses du secours pop’, et que cet argent vient d’une boîte qui manifestement aime faire des pauvres des figurants pas très cher payés pour ses campagnes de pub (garanties, pour les yeux toujours animés de pulsion scopique du bon peuple, avec des morceaux de vrais pauvres dedans). Mais comme on n’a pas l’obsession des origines, on considèrera que, comme on le sait dans la finance, l’argent n’a pas d’odeur.

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