« Le point » transforme Sarkozy en prestidigitateur, as du close-up, ou en tatayet, c’est selon.

In "CE QUI SE PASSE", CHOSES VUES, MIND STORM, PROPAGANDA
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Une du PointVerra t-on bientôt notre président en guest star dans l’émission de Patrick Sébastien ? On peut en douter : c’est à son corps défendant que Sarkozy apparaît cette semaine dans un nouveau numéro de trompe-l’oeil du magazine d’information (?!!?!) dirigé par le plus grand donneur de leçons journalistiques de la presse du moment. En l’occurrence, les mains ont la parole, mais on va voir qu’elles aussi peuvent être ventriloques.

Si vous jetez un coup d’oeil à l’arrière des livres que vous avez en bibliothèque, particulièrement les livres qu’on pourrait désigner comme « intellectuels », et que vous sélectionnez ceux qui proposent une photo de leur auteur, vous serez sans doutes frappés de voir comme il est fréquent que l’écrivain se fasse tirer le portrait en compagnie d’au moins une de ses deux mains. C’est d’ailleurs rassurant : à ceux qui pensent qu’on oppose systématiquement l’intellect au manuel, on pourrait montrer ici qu’il n’en est rien : si on veut donner une image intellectuelle de soi-même, le mieux est apparemment de glisser subrepticement une main dans le cadre de la photographie, cela témoignera de l’intelligence du portraitisé, vérifiant ainsi la célèbre déclaration aristotélicienne : ce n’est pas parce qu’il a des mains que l’homme est intelligent, mais bien parce qu’il est intelligent qu’il a des mains.

Ainsi, l’apparition de mains en photo n’est jamais innocente, a fortiori quand cette apparition se fait en grand format, qui plus est en premier plan d’une photo de une d’un hebdomadaire de grand tirage. Voir Sarkozy en une du Point n’est pas vraiment une surprise. C’est en gros le cas dans un numéro sur trois. Dans quelques années, les professeurs d’histoire pourront illustrer leur cours sur la propagande rien qu’en montrant à leurs élèves le chapelet de unes obséquieuses que ce magazine d’édification des masses a pu consacrer à celui que le journal appellera l’ultra-président (concept sympathique mais apparemment déjà périmé, ne faudrait il pas le remplacer dès maintenant par « over-président » ?).

On a pu croire un moment que les medias étaient à la botte du pouvoir, que l’Elysée exerçait des pressions sur les rédactions pour orienter tel ou tel article, interdire telle ou telle information, et on avait sans doute raison. Mais il y a motif d’être rassuré, cette semaine : au-delà d’une équipe présidentielle, aussi puissante soit-elle, il y a un guide idéologique que ces journaux suivront toujours davantage : le fric. Le côté sympathique de la chose, c’est qu’on peut observer avec amusement les hebdomadaires retourner leur veste au moment où le vent tourne (après, bien sûr, il ne faut pas prendre de risques inconsidérés), le côté moins sympathique de la chose, c’est que si ils le font, c’est que ça doit être vendeur, ce qui en dit long sur les lecteurs, en d’autres mots sur nous (et peut être doit on renoncer à demander aux « journalistes » (FOG, journaliste ?… hmmmm…) une quelconque déontologie si le lecteur est, lui, incapable de soumettre à un minimum de discipline d’achat et de lecture).

Une du PointOn se souvient de la manière dont Paris-Match avait bidonné des photos de notre juvénile président, lui retirant des bourrelets par ci par là, le faisant davantage correspondre à cette image fantasmée dont le repère doit plus ou moins être l’iconographie riche de Poutine posant torse nu et en treillis, montrant son corps prêt pour le combat. A voir les vestes savamment taillées de Sarkozy, on devine qu’il aimerait bien donner la même illusion, sans en avoir aucunement les moyens morphologiques. Paris-Match, toujours serviable, avait donné un coup de main en rectifiant l’image pour qu’elle corresponde à la réalité fictionnelle désirée par l’Elysée (certes) et par les lecteurs (ben oui).

Aujourd’hui, on va peut être assister à la stratégie inverse : la une du point de cette semaine nous montre un président accusant soudainement le poids des ans. Visage creusé de rides, regard clair, yeux vaguement vitreux, comme à la veille d’une opération de la cataracte, cheveu fillasse, mine déconfite, comme revenu de tout. Et surtout, bien en avant (le point est d’ailleurs fait sur cette avant-scène) : les mains du président, soudainement frappées par l’âge avancé de celui-ci, constellées de tâches de vieillesse, aux veines apparentes, comme décharnées, sans doute percluses de rhumatismes et d’arthrose.

Si les mains parlent, (et les mains parlent), alors celles ci nous disent qu’on peut faire le deuil des espoirs placés dans ce personnage dont on va nous montrer dorénavant une nouvelle vérité (autant dire, une nouvelle fiction, un nouveau scénario, un nouvel épisode dans le feuilleton qui nous occupe). Ni plus vrai, ni plus faux que le précédent épisode, celui qui commence maintenant poursuivra néanmoins le même but que les précédents.

Lorsqu’un prestidigitateur veut détourner notre attention, il met ses mains en avant, et les exposant ainsi, faisant mine de tout dévoiler, il planque d’autant plus. Le point a, pendant des mois, fait des plans larges sur le président pour faire croire, de la même manière, qu’il disait tout, comme ses confrères. Le moment où le cadre se focalise sur son modèle et se resserre autour de lui utilise le même subterfuge : en mettant les mains en avant, on nous leurre de nouveau, on nous fait croire à un mea culpa, à un changement d’orientation rédactionnelle, à un éclairage plus vrai, alors qu’il ne s’agit une fois de plus que d’un énième tour de passe passe, répondant à la logique immuable de l’audimat.

En ce sens, le véritable prestidigitateur, dans la mesure où c’est lui le véritable commanditaire de ces lignes éditoriales, c’est nous.

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