Collatéral

In "CE QUI SE PASSE", AUDIO, MIND STORM, PLATINES
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Long silence radio, on sait. Manque de temps, conséquence entre autres d’une charge de travail de plus en plus importante, conséquence sans doute de la fameuse mesure phare de notre gouvernance actuelle, ne remplacer qu’un départ sur deux dans la fonction publique, ce genre de choses qui font que, si on veut que le même service soit rendu au « public », il sera bien nécessaire qu’un même travailleur effectue davantage de boulot. Manque de pensée, aussi. J’ai l’impression qu’avoir moins de temps pour réfléchir ne me conduit pas du tout à aller à l’essentiel. Au contraire, l’énergie se perd dans tout un tas de chemins qui ne mènent nulle part. Non pas que, d’habitude, la réflexion permette de parvenir à des conclusions, mais elle permet au moins de dire quelque chose. Là, ça fait des semaines que rien de communicable ne se construit, toutes les pistes s’avérant stériles, ou déjà piétinées. Parfois, le terrain de sa propre pensée ressemble un peu trop à ces lieux de rencontre nocturne que les promeneurs découvrent au matin, les herbes piétinées, la terre rendue boueuse par les allées et venues, les buissons couverts de fleurs de kleenex, quand il ne s’agit pas de fruits plus explicites sur les pratiques locales. Déjà vu, stérile.

Mais c’est aussi que si parfois, ici, on rebondit sur l’actualité pour générer quelques articles, tentant de lire quelque chose à travers ce qui semble se présenter comme évènement, on ne parvient ces derniers temps qu’à grand peine à y déchiffrer quoi que ce soit. Ca vient sans doute du cerveau qui les scrute, mais ça vient aussi sans doute de la nature même des faits, qui semblent ces temps ci dépasser le sens commun. Mais c’est peut être là ce qui distingue le fait divers de l’évènement : celui là est totalement soluble dans le bon sens quand celui ci lui échappe.

Enfin, accessoirement, entre deux tâches professionnelles s’apparentant à du simple secrétariat, on lit quelques articles, par ci par là, qui font preuve d’une telle agilité qu’on ne se sent même plus légitime à écrire.

Cependant, les hasards des rencontres musicales, cinématographiques et philosophiques produisent encore quelques interpolations qui, bien qu’aléatoires, donnent parfois le sentiment qu’il est possible, dans le désordre ambiant, de repérer quelques lignes de structure.

Deux exemples tout à fait superficiels et musicaux, pour illustrer cela.

Alors que planait sur nous un nuage dont on nous aura successivement dit que sa radioactivité était si négligeable qu’elle ne pouvait pas être mesurée (version officielle), puis qu’elle avait été quantifiée par les instruments de mesure (version indépendante), on semblait avoir le choix, en matière de bande son de l’apocalypse nucléaire : Kraftwerk semblait conseillé, mais faisait un peu ton sur ton dans un esprit conscient des dangers et un peu trop contraste pour qui aurait pris pour argent comptant les messages rassurant de notre gouvernance. Une autre option consistait à se noyer dans une musique a priori anodine. La sortie d’un truc comme Yelle l’aurait assez aisément permis (on l’a compris : Yelle, c’est bien plus le retour de Dorothée que Dorothée elle même, Dorothée étant une chanteuse morte qui chante (dérision du sens des mots) pour des adultes qui n’ont pas fait le deuil de leur enfance, en somme pour des enfants morts quand Yelle s’adresse précisément à ceux qui, passée la barre de la trentaine, n’en ont toujours pas fini avec leur infantilité. En gros, Yelle est une Karen Cheryl post moderne, donc branchouille (mais Karen Cheryl croyait, elle aussi, être branchée).

Une alternative subsistait : mixer la pop insouciante et la focalisation vers un Japon une nouvelle fois déplacé, comme voué à être coupé, à intervalles réguliers, de ses racines, désynchronisé de quelques mètres des repères à partir desquels les satellites GPS le cherchent. Ici, une précision méthodologique s’impose : il faut se fier au nom des groupes qu’on découvre. Après tout, les musiciens comme beaucoup d’artistes se nomment eux mêmes. On peut deviner que s’ils ratent cette étape somme toute décisive, il y a alors un motif à s’inquiéter pour la qualité de leur oeuvre même. Aussi, quand Toph Taylor, chanteur et producteur aux racines éparpillées sur les deux hémisphères, monte un projet musical qu’il nomme Trouble over Tokyo, on sent qu’on tient peut être la bande originale qu’il nous fallait à nous autres qui sommes témoins de la catastrophe sans avoir à en subir les conséquences, mal à l’aise dans nos positions de spectateurs désengagés.

Précisons, tout de même, qu’il ne s’agit absolument pas d’une sortie récente : Cet album, intitulé Pyramid, n’est pas exactement récent, puisqu’il est sorti en 2008, une éternité dans le monde en perpétuelle mue de la production musicale. Peu importe cependant, puisque précisément, ce renouvellement permanent permet de découvrir tout ce à côté de quoi on est passé comme si ça venait de sortir. On pourrait prendre le temps de décrire cette musique, rappeler que certains critiques y ont vu croisées les plus profondes angoisses existentielles de Tom Yorke et les élans sensuels d’un Justin Timberlake, mais le mieux est sans doute d’écouter la manière dont le premier titre de cet album déjoue les attentes, brouille les structures qu’il met en place, construit sur des fondations souples, prêtes à subir les assauts de structures concurrentes avec lesquelles elles parviennent finalement à composer (et qu’est ce que la musique est, si elle n’est pas une manière de faire coexister des structures sonores, de les faire dialoguer, puis chanter ensemble ?). D’une certaine manière, si je voulais faire comme si il y avait une structure dans cet article, je dirais volontiers que ce titre montre comment même dans une musique qu’on peut qualifier de « pop », il s’agit de parvenir à faire émerger un évènement, une tension qui sera l’énergie créatrice de ce qui suivra. Je laisse donc le passant à l’écoute de ce Start making noise, qui est une démonstration de plus que la musique est bel et bien du bruit qui pense.

Autre piste d’accompagnement sonore, pour un autre théâtre d’opérations, ici encore appuyé sur le seul nom de l’auteur de la bande son : Tragedy Khadafi. Autant dire qu’on a un peu du mal, en France, avec l’épisode libyen, parce qu’étant donné le passé plus que confus que nos gouvernants ont en commun avec le guide de la révolution, puisqu’on était censés être réconciliés, par l’intermédiaire de notre propre président, aux petits soins pour le folklorique Colonel Moutarde, pour des raisons que la saison 2018 de « Rendez-vous avec X » devraient élucider. Je suis tombé tout à fait par hasard sur ce rappeur, originaire du Queensbridge, ce quartier new-yorkais dont, avant que Tradedy Khadafi ne produise ses premiers titres, on n’entendait parler qu’à propos du trafic quasi industriel de crack qui avait pris place au sein de la plus grosse unité de HLM que connaissaient alors les USA. Ici encore, il ne s’agit pas exactement d’une découverte récente, puisque c’est dans les années 80 que Percy Chapman choisira la voie du rap, sous ce pseudonyme dont la justification demeure mystérieuse, plutôt que celle de la délinquance, à la suite de la découverte, en prison, de la lecture. Pour ceux à qui le style « Côte Est » parle plus (en gros, les vieux et les intellos), c’est une pièce plutôt intéressante, tout particulièrement l’album sans doute le plus personnel, Against all odds sorti, lui, en 2001, après la mort de sa mère, et amplement appuyé sur ce drame, archétype de ce que, depuis, le rap devient quand il cesse un peu de mettre en scène la vie selon les trafics et la violence pour se concentrer sur les dégâts collatéraux de cette vie. Ce Permanently scarred fait penser, dans la découverte par un fils du corps sans vie de sa propre mère, ici à la suite d’une vie toxicomane, à James Ellroy et à ce qu’il a pu tirer d’un drame semblable. Aucun rapport avec la Lybie, donc, et cette fois, mais peu importe, les fils tendus entre les expériences ne sont pas nécessairement logiques ou pertinents; ils sont; et du point de vue de l’expérience, cela suffit parfois.

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