Faites vos vœux, rien ne va plus

In "CE QUI SE PASSE", CHOSES VUES, Il voit le mal partout, MIND STORM, Plan banlieue
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On va reprendre un peu d’activité ici même.

Après avoir tenté d’évangéliser sur les réseaux sociaux, et m’être fait rappeler à l’ordre par des contacts amis, qui m’ont fait à moitié la morale, à moitié pitié, je me dis que ces plateformes n’ont de sociales que le nom, et qu’on va aller voir sous d’autres cieux si on peut davantage s’y répandre, s’y exprimer et peut-être tisser de ci de là des liens. Après tout, ceci est censé être une toile. 

Et pour reprendre de bonnes habitudes, je partage ici ce que j’ai eu l’occasion de publier sur le site du Huffington Post, à propos des dégâts commis dans mon lycée par le dispositif Parcoursup. 

Quelques jours après l’avoir rédigé, je peux ajouter ceci : aujourd’hui, pour la première fois, j’ai été confronté en classe à une élèves en larmes parce que la plateforme ne lui proposait rien. A ce jour, à l’échelle nationale, 68% des élèves de terminales ont reçu une proposition ferme. Dans mon lycée, qui est un lycée de Zep (quand bien même l’administration ne lui reconnaisse plus clairement ce statut), on plafonne à 33%. Et quelque chose me dit que je vais pourvoir ouvrir la catégorie « Plan banlieue », parce que je pense que, contrairement à ce que notre président a affirmé le 22 mai, il y a bel et bien un plan banlieue, et que Parcoursup en est un des rouages. 

 

Depuis le 22 mai, élèves, parents et professeurs ont les yeux rivés Parcoursup. Dans les couloirs du lycée Guy de Maupassant, à Colombes, comme dans bien d’autres établissements, tant dans la cour de récré que dans la salle de professeurs, on s’inquiète de voir si peu d’élèves reçus à ce jour dans une formation l’année prochaine. Au-delà du résultat, nos doutes, plus profonds encore qu’auparavant, portent sur le principe même de ce dispositif, et ce que cela dit du rapport que notre pays entretient avec une partie de sa jeunesse.

 

Hula hup, Barbatruc!

Quand un groupe industriel ne peut plus assumer les casseroles éthiques qu’il traîne derrière lui, il change de nom. Désormais, les dispositifs gouvernementaux font de même. Ainsi, à la rentrée 2018, APB, dans un mouvement digne des meilleurs transformistes, tournait le dos un instant au public pour réapparaître sous sa nouvelle identité. On l’appellerait désormais Parcoursup. Avec lui, fini le hasard du tirage au sort. Désormais, c’est tout à fait volontairement que certains élèves seraient écartés des bancs des études qu’ils visaient. Adieu l’arbitraire, bienvenue à l’arbitrage. La sélection, désormais, serait préméditée, programmée. Des armées de microprocesseurs bardés de critères de sélection décréteraient, avec la neutralité inhumaine qu’on aime tant en eux, que tel étudiant n’étudierait pas, et qu’à tel autre en revanche, on ouvrirait toutes grandes les portes du savoir.

 

Derrière ce passage de l’indéterminé à la sélection sur critères, il y a une constante: il n’y a pas suffisamment de places pour accueillir tous ceux qui veulent étudier. Corollaire: ceux qui seront accueillis quelque part ne le seront pas nécessairement là où ils le souhaitent. Quoi qu’on puisse penser du baccalauréat, il constitue la porte qui ouvre sur les études supérieures. Pourtant, derrière cette porte pour un certain nombre de bacheliers, il y a le vide. C’était déjà le cas avec APB. Ce qu’inaugure Parcoursup, c’est une façon décomplexée de gérer la pénurie de places pour les étudiants. APB cachait la misère, Parcoursup la met en scène, façon télé-réalité. Et ceux qui plaident en faveur du nouveau dispositif aiment à dire qu’au moins, il n’est pas hypocrite.

 

L’art d’accommoder les restes

Pourtant, il l’est un peu, car non content de gérer manifestement la pénurie de places, il la génère. En effet, sur APB, les élèves recevaient un mail leur indiquant qu’un de leurs vœux était satisfait. Sur Parcoursup, l’élève performant peut tout à fait voir tous ses vœux satisfaits. Le système fonctionne donc selon un principe d’accaparement des places, de capitalisation des orientations par certains élèves, désignés comme les meilleurs. Les autres s’accommoderont des restes. Après tout, ils ont l’habitude.

 

On est donc passé de l’ère de la proposition à celle du refus. Le 22 mai, à 18h, les élèves se sont connectés, non pas pour découvrir quelle école leur propose de les accueillir, mais pour compter le nombre d’écoles qui leur disent « non ». Maintenant, ils doivent attendre d’être contactés, à la faveur du désistement d’un autre candidat, plus performant, qui aura trouvé mieux ailleurs.

Jouer les remplaçants

On voit bien la logique qui est à l’œuvre derrière cette machine: aux meilleurs, les meilleures places. Ce n’est pas nouveau. APB, et ses prédécesseurs fonctionnaient déjà ainsi. Mais sur Parcoursup, on inaugure une nouvelle règle: aux meilleurs, toutes les places. Méritocratie, ou jackpot? En fait, tout dépend du mérite réel qu’il y a à être le meilleur. Après tout, un niveau modeste peut demander à certains beaucoup d’efforts tant ils partent de loin, tandis que d’autres parviennent aux plus hautes performances sans vraiment suer sang et eau parce que tout autour d’eux concourt et participe à cet excellent résultat. De fait, Parcoursup donne beaucoup à ceux qui ont déjà beaucoup, et le dispositif le fait d’autant plus librement que les algorithmes qu’il respecte sont particulièrement opaques, le décret d’application ayant autorisé les établissements à ne pas les dévoiler. Ainsi, les élèves ne savent pas pourquoi ils ne sont pas choisis. Résultat: sur deux universités, pour la même formation, le classement d’un même élève est totalement différent.

Le 22 mai, la plupart des élèves du lycée Guy de Maupassant, à Colombes – un de ces lycées d’une de ces banlieues pour lesquelles il n’y aura pas de plan particulier, apprenait-on le même jour – ont découvert que les écoles leur disaient « non », et qu’au mieux, elles leur promettaient que, si de meilleurs élèves qu’eux se désistaient, on leur proposerait alors leur place. La plupart? En moyenne, dans chaque classe, 5 élèves ont une proposition, 4 sont d’emblée sortis du dispositif et 25 sont en liste d’attente, attendant qu’une place se libère. On est loin de la moyenne nationale. Mieux: une élève bénéficiant de la convention Science-Po est en liste d’attente sur tous ses vœux. Parcoursup désigne ces élèves des milieux populaires comme remplaçants.

De quoi la liste d’attente est-elle le « non »?

Les élèves qui n’ont fait aucun vœu en L1 et dont tous les vœux sont repoussés, n’ont plus aucun espoir. Ils reçoivent ce message: « Vous avez postulé uniquement dans des filières sélectives, les formations que vous avez demandées n’ont pas pu répondre positivement à vos demandes. Vous ne recevrez donc pas de proposition d’admission pendant la phase principale de Parcoursup« . Traduisons: comme vous n’êtes pris nulle part, nous espérons que vous comprenez que vous auriez dû faire des vœux en licence, car si vous l’aviez fait, c’est à l’université qu’on vous aurait affecté.

Rappelons-nous: contre quoi était censé lutter Parcoursup? L’absentéisme et l’abandon des études en première année de licence. Que propose Parcoursup finalement? De remplir des licences non désirées avec des étudiants non motivés qui auront tendance à abandonner ce cursus dès les premiers mois. Comment mieux produire ce qu’on prétendait combattre?

Parcoursup entérine le fait que la France ne veut pas offrir à ses jeunes les plus fragiles une formation digne de ce nom au-delà du lycée. On leur aura donc menti pendant toute leur scolarité. A ce jour, la moitié des candidats au baccalauréat n’ont aucune proposition pour la rentrée de septembre. On sait où, socialement, se situe cette moitié. On devine aussi combien cette situation les fragilise à un mois d’un examen qui est désormais, pour eux, crucial et absurde à la fois. Qui, davantage que les jeunes, s’agirait-il de mettre en marche, comme on dit? Qui est-il plus insensé de laisser en marge? Est-ce bien cela, « notre projet »?

1 Comment

  1. Bonsoir,

    Je profite des vacances scolaires (tant qu’elles n’ont pas encore disparu…) pour répondre et enfoncer un peu plus le clou, histoire que tu trouves peut-être ici la validation qu’il t’a manqué là-bas !

    J’ajouterais pour ma part deux éléments car j’ai moi aussi été confronté de près cette année à la machine (machinerie ? méga-machine ?) Parcoursup : les critères de sélection ne sont pas tous obscurs et inaccessibles, les algorithmes tournant avec ce que l’on veut bien leur donner à manger, c’est-à-dire les notes des élèves et les avis des professeurs + chefs d’établissement (favorables ou défavorables), leur poids est très important ! Deuxième point, l’attente des réponses « au fil de l’eau » pour reprendre la terminologie des documents officiels reçus eux-mêmes « au fil de l’eau » (une eau de boudin, une eau sale) est une attente douloureuse, oserais-je le terme de sadique ? Allez ! Oui, une attente sadique et cruelle, avec une fausse petite pause de merde au milieu pour que les jeunes se concentrent sur le bac, la tête pleine d’angoisse. Dans la vie, le fait de ne pas savoir, d’être en attente, est peut-être pire que de recevoir un refus. Ici, on espère tous les jours, dans une attente interminable pour ceux à qui l’on offrira simplement une place en L1, tout en bout de course, en septembre. On torture un peu les nerfs non ? C’est la guerre des nerfs qu’on généralise ? Après tout, ils sont jeunes, flexibles, adaptables, et ça leur donne un aperçu de ce que le monde de l’emploi leur offrira !

    Macron a légèrement caché son jeu au moment de la campagne, mais pour qui n’était pas trop cron, ou plutôt con, le jeu était assez clair. Depuis son élection, il agit démasqué, malgré un sourire émail-diamant qui traduit plus un narcissisme hypertrophié que de la gentillesse, et revient à ses premières amours : la banque, l’argent, le secteur privé. Il démantèle le service public et fait tomber ses soi-disant privilèges, pour aligner tout le monde sur la plus grande précarité, tous, sauf les riches bien sûr. A voir, si ce n’est pas déjà fait, l’excellent documentaire « Inside job » qui fait froid dans le dos mais qui dit clairement ce qu’est le monde de la finance (qui est aussi le même que celui de la banque). Enfin, comme Macron le banquier a été élu « démocratiquement », il n’y a plus qu’à obtempérer !

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