Terra incognita – du bout du monde clos à l’univers infini, et de Miossec à 7-Hurtz

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Capter les messages des ondes ambiantes. Recevoir des échanges qui ne sont plus, diluées dans l’ionosphère. Saisir au vol les conversations hertziennes, les saisir sans même avoir à les décoder. Lâcher le sens pour accueillir les parasites comme un véritable langage, signaux stratosphériques, voix perdues, échappées dans l’espace, transitant de satellites en stations spatiales, franchissant à la vitesse des hyperfréquences les antennes, les relais, les mobiles, les centres répartiteurs, les kilomètres de câbles, les terminaux de toutes sortes.

Entre deux plages de chanson réaliste, on peut larguer les amarres et déployer les radiotélescopes pour se mettre à l’écoute d’autre chose que les détresses et fausses joies humaines. Bonne nouvelle, jamais la musique n’a été jusque là capable de produire ces tensions entre harmonies, bruits blancs et sons purs. Comme si on lançait dans l’univers des ondes porteuses, et qu’en croisant les signaux hyperbandes, les fréquences GSM, les transmissions intersidérales et les vents stellaires, elles nous revenaient chargées de ce que l’humanité transmet, additionnées de ce que l’univers charrie de messages non encore repérés comme tels. Il y a une poésie des messages incompris, un sublime des voix parasitées, une puissance du bruit et du larsen.

Pourtant, rares sont les musiciens qui ont jusque là manipulé cette matière qui, loin des notes, constitue pourtant le matériau sonore de notre époque. On sait bien que beaucoup voudraient que l’essentiel de notre présence au monde puisse s’exprimer via une guitare, un tambourin et quelques mots bien choisis. On peut certes le faire et cela témoigne d’une partie de nous mêmes. Mais cette musique là est comme une énorme racine qui nous maintient enchainés au sol dans lequel nous avons poussé. Cloués au sol par la nécessité d’y puiser les ressources qui nous permettent d’y survivre, nous nous dressons pourtant aussi vers le ciel, tendons nos bras pour, si ce n’est le saisir, du moins tenter de le capter (Bergson, sors de ce clavier !). Bref, il faut bien l’avouer, on n’a pas totalement abandonné tout espoir de transcendance. (je vais me prendre une baffe)

Et ça ne se satisfera pas avec une répartition équitable des richesses. (et un coup d’boule)

En fait, c’est peut être pire encore que ce qu’on croit. Ou mieux, si on l’accepte. Les deux pieds sur la terre, nous pouvons saisir chez un Miossec, par exemple, quelque chose de nos vies embourbées, de nos élans individuels tués dans l’oeuf, de nos essais avortés, de nos sauts de crapauds malhabiles, mal visés, toujours trop approximatifs pour nous mener vraiment quelque part. Et nous sommes cela. Et il y a dans ce réalisme une pièce de notre vérité. Et pourtant, si c’est bien au bout des terres que Miossec embarque son monde, et si c’est là qu’il a en fait toujours vraiment été, on devinera qu’on ne peut pas se tenir ainsi penché, à la toute fin des terres, au dessus des eaux, par dessus les falaises, sans aspirer à partir. Les phares, les vents marins, les courants, les sémaphores, les supertankers sont autant d’invitations au voyage. Entre eux s’échangent les signaux incompréhensibles pour le terrien, mais qui sonnent comme un appel.

On peut écouter la météo marine, n’y rien comprendre, tout en captant l’appel du large.

Entre deux pôles, nous voici suffisamment en tension pour ouvrir nos oreilles aux fréquences passées au mixer de 7-Hurts. Pour ceux qui ont du mal, cette musique, comme celle de Robin Rimbaud, dont j’ai déjà évoqué le travail ici même (il publie sous le nom de DJ-Scanner, ce qui en dit, finalement suffisamment long) est la météo marine des espaces auxquels on aspire tout en demeurant les pieds scellés dans la terre. Comme une destination pour laquelle nous serions programmés, lorsque nous sommes au bout de la terre, ou quand la terre sera à bout.

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Ca me rappelle que j’avais promis quelque chose, il fut un temps.

Henry Miller, dans son cauchemar climatisé, consacre de nombreuses et passionnantes pages à Edgar Varèse. Musicalement, nous sommes au premier abord loin de 7-Hurtz. Pourtant, le court chapitre « Edgar Varèse dans le désert de Gobi » semble avoir été écrit pour l’accompagner :

« QUE L’HUMANITE S’EVEILLE. L’HUMANITE EN MARCHE. RIEN NE PEUT L’ARRETER. UNE HUMANITE CONSCIENTE. QU’ON NE PEUT NI EXPLOITER NI PRENDRE EN PITIE. EN AVANT ! ALLONS ! ILS MARCHENT ! LE PIETINEMENT DE MILLIONS DE PAS, QUI RESONNE, SOURDEMENT, INLASSABLEMENT. LE RYTHME CHANGE. VITE, LENTEMENT, STACCATO, TRAINANT, PIETINEMENT SOURD. ALLEZ CRESCENDO FINAL DONNANT L’IMPRESSION QUE L’IMPITOYABLE MARCHE EN AVANT NE S’ARRETERA JAMAIS… SE PROJETANT DANS L’ESPACE…

DES VOIX DANS LE CIEL, COMME SI DES MAINS MAGIQUES ET INVISIBLES TOURNAIENT LES BOUTONS DE POSTES DE RADIO FANTASTIQUES. DES VOIX EMPLISSANT TOUT L’ESPACE, SE CROISANT, SE BRISANT, SE SUPERPOSANT, SE REPOUSSANT, S’ECRASANT, SE BROYANT LES UNES CONTRE LES AUTRES, DES PHRASES, DES SLOGANS, DES FORMULES, DES CHANTS, DES PROCLAMATIONS : LA CHINE. LA RUSSIE. L’ESPAGNE. LES ETATS FASCISTES ET LES DEMOCRATIES BRISANT TOUTES LES GANGUES QUI LES EMPRISONNENT… »

Henry Miller – Le cauchemar climatisé. Folio; p. 186

Voila un projet qui devrait revendiquer le nom de Universal Music. Mais on sait à quel point ce nom est mal porté.

Sinon, pour préciser un peu, ce morceau, Van Am, de 7-Hurtz, est l’introduction d’un album intitulé Audiophiliac, sorti en 2000 sur le label Output (qui est le genre de label qui a du flair, d’ailleurs). En 2003 est sorti un second album du même groupe: Electroleum. Tout ne ressemble pas à Van Am, mais l’ensemble est savamment minimaliste tout en parvenant à développer des ambiances quasi cinématographiques. Seul ce titre ressemble à ce point à une plainte de l’univers tout entier, mais les autres titres sont à eux-mêmes leur propre univers.

2 Comments

  1. Même de Dresde et juste avant de rentrer à la Gemälde, je suis encore capable de prier mon ami jkrsb d’arrêter de fumer la moquette. Les mines de sel étant malheureusement fermées, la rééducation par Miossec me paraissait le seule thérapie acceptable. Et voilà que le jkrsb nous sort encore une de ces musiques de décomposés dont il a le secret. Comme di »rait Areski : « Brigitte (jkrsb), tu es fatigant(e). »

  2. Héhé, je ne sais pourquoi, je croyais deviner, à l’horizon, une réaction de ce genre. Mais peut être est ce que les bombardements locaux de ton étape allemande ont ils figé le temps, et que les musiques d’aujourd’hui y passent mal. Pourtant, j’aurais été tenté d’affirmer qu’elles consituent la bande son de ces territoires là, aussi. Je ne cède pas à cette tentation, parce que le silence s’impose parfois.
    Bon, nous sommes donc en désaccord musical, jusque là, semble t il. Mais je travaille à cette question, et je commence à avoir des bribes de théorie sur le problème !

    Fatiguant ? héhé, c’est juste que tu manques d’énergie ! L’Allemagne provoquait aussi ça à Nietzsche : il faut revenir vers le sud !

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