Vive la crise !

In "CE QUI SE PASSE", 25 FPS, CHOSES VUES, MIND STORM, PROPAGANDA, SCREENS
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En Février 1984, Antenne2 livrait ses ondes, pour une soirée regardée par plus de 53% des téléspectateurs, à Yves Montand qui se voyait bien répondre favorablement aux sirènes politiques qui avaient trouvé, dans la personne de Ronald Reagan, l’attracteur étrange qui allait guider le performer français vers les lumières médiatiques et les feux des rampes gouvernementales, à tel point qu’ayant viré de bord hors du communisme, il déclarait ensuite qu’il demeurait de gauche, mais tendance Reagan. Tout un programme politique !

Il faut dire qu’il y avait un bon prétexte pour justifier le détournement des ondes : la crise, dont on va voir qu’elle servait déjà de prétexte à un courant de la gauche (autoproclamée, on peut le dire) pour dévoyer durablement, l’usage actuel du mot « gauche » peut en témoigner, tout le courant progressiste. Si aujourd’hui, la confusion règne dans l’esprit de beaucoup, et si pour de nombreux électeurs, tous les partis se valent, on le doit sans doute en bonne partie à cette époque là.

On discerne aussi comment la crise apparaît déjà comme une aubaine dont quelques têtes pensantes se disent qu’on serait bien bêtes de ne pas profiter. Après tout, comme le pense un Alain Minc déjà bien accroché à son rocher libéral, la crise offre, avec la bonne conscience en plus, l’occasion que les guerres n’offrent plus. Et comme on ne peut plus décemment désirer une bonne vieille guerre, puisque depuis la bombe atomique, aucune guerre ne sera plus jamais bonne… la crise devient une option envisageable.

Ainsi, Montand se voyant bien en pendant européen de Reagan, on le lance dans une soirée menée en solo, docu-fictions en bandoulière, montrer aux français que la crise n’en est une que si on l’envisage depuis le point de vue étroit des nantis qu’ils sont déjà, que c’est bien plus dur ailleurs, et qu’il est temps de se réveiller, puisque tout est finalement entre leurs mains. Il suffit qu’ils se bougent, sinon, c’est la conclusion de la soirée, ils n’auront que ce qu’ils ont mérité.

Presque 30 ans plus tard, on ne peut que difficilement se confronter de nouveau à l’émission elle même, puisqu’elle est presque introuvable (disons qu’elle est indisponible pour le commun des mortels). En revanche, le numéro spécial publié par Libération, mené par un Serge July installé, et convaincu, secondé par un Joffrin non moins acquis à la cause libérale peut encore être dégotté, et il constitue, aujourd’hui, un document plus parlant encore, car développant au long de presque 90 pages ce que l’émission télévisée mettait davantage en scène, de manière forcément plus spectaculaire, mais aussi moins argumentée. Lire ces pages, c’est prendre la mesure de l’absence totale de véritable mouvement depuis. On pourrait même considérer que toute l’entreprise menée depuis a eu pour objectif de tuer toute capacité de véritable mouvement. Et tout ce que ces documents ont présenté comme les écueils qu’il s’agissait d’éviter grâce à de multiples sacrifices, tout ceci est devenu notre quotidien.

Une chose apparaît cependant nettement : lorsque nos aînés font mine d’être surpris par la situation actuelle, et mettent la main sur le coeur en prétendant n’avoir pas été prévenus, ils mentent. Mais on peut difficilement leur en vouloir : s’ils étaient au courant, c’est par l’intermédiaire de ce genre de spectacle politique qui était autant édifiant qu’unilatéralement orienté, ne laissant la place à aucun débat, à aucun plan B. L’Humanité, le lendemain, réclamait à Antenne2 un droit de réponse qui ne sera jamais donné.

En accompagnement, le document lui même, tout d’abord, en intégralité, parce qu’avec tout le cynisme qui peut caractériser ce genre d’activité, on constate que la publicité elle-même s’était mise au diapason de la tonalité idéologique de ce numéro spécial.

En bonus, une émission de radio, menée par Daniel Mermet. C’est un épisode de l’excellente Là-bas si j’y suis qui s’intéresse précisément à ce « Vive la crise ! ». 

3 Comments

  1. Je suis toujours surpris que des gens pensent encore que Libération est un journal de gauche. Ca fait bien longtemps que le journal, bien avant d’être racheté par Monsieur de Rotschild, a non pas viré à droite, puisque selon la formule de Bedos, on ne peut pas virer à droite quand on y est garé, mais s’y complait. Et Debray cite de nombreux exemples de ces courants à la gauche du Parti socialiste qui finissent largement à sa droite. Pour n’en rester qu’à la période contemporaine, Rocard, Dray, etc.

    Mais la raison de mon intervention n’est pas celà : j’ai découvert ce matin que ubris.fr est classifiè comme pornographique ou presque sur le système de protection mis en place par la chaîne Novotel sur ses stations internet… J’ai risqué une protestation écrite…

  2. je ne sais s’il faut prendre ce classement comme une insulte ou une reconnaissance…
    j’avais, il fut un temps, l’intention de justifier une telle indexation, et puis je me suis rendu compte que je n’avais rien à dire sur la question, ou pas grand chose. j’ai promis à Lestrade, il y a de cela des lustres, un article confrontant les « cultural pornos » (appellation purement sardonique : je pense à ces videos ou des petits blancs subissent des tournantes simulées dans des caves) et certains aspects du cinéma de Fassbinder. Mais pour le moment, je bloque un peu, n’ayant pas encore assez creusé la question.
    Bon, en même temps, que les Novotel n’apprécient pas la pornographie, étant donnné ce qui doit se passer dans les chambres, ça relève du déni !

    Quant à Libé, son classement officiel à gauche a quelque chose de « parlant », en effet. Sinon, c’est la fin du plan B dirait on… aussi bien en tant que titre de presser qu’en tant qu’alternative politique… Quand on dit que certains doivent trouver des vertus à la crise… …

  3. J’ai depuis reçu un message de l’instance chargée par Novotel de la régulation bien-pensante de l’accès aux sites internet à partir de ses sites. Désolé, jkrsb, mais ta fierté dût-elle en souffrir, la dite instance a reconnu qu’il s’agissait d’une erreur et que rien ne justifiait cette mise à l’index. Te voilà pleinement rétabli dans les droits au libre accès de tout un chacun utilisant la chaîne Novotel et ses accès internet. J’ai vérifié depuis que c’était le cas. Je ne peux malgré tout pas m’empêcher de penser qu’il s’agissait là d’un combat assez marginal et que la clientèle habituelle de la chaîne d’hôtellerie fréquente plus volontiers d’autres sites que le tien… Ce qu’on peut également positiver en disant que c’est plutôt réconfortant pour le contenu du site.

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