Tendre les verges pour se faire battre

In MIND STORM
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Je ne sais pas si c’est une pathologie très répandue, mais je suis frappé parfois, dans les librairies, d’une irrépressible tentation de feuilleter des bouquins improbables ; pour voir. L’avantage de cette tendance sur celle qui consiste à regarder des émissions de télé débiles, c’est qu’un livre aberrant peut difficilement happer celui qui l’entrouvre, quand les delarusseries , les fogielitudes et les arthurades sont conçues pour prendre en otage le cerveau de celui qui a le malheur d’en entrevoir quelques images, l’empêchant de faire ce geste pourtant simple : déprogrammer TF1, M6 et toutes leurs chaines filiales de leur récepteur télé.

Toujours est il qu’hier, j’ai ouvert l’œuvre de Franz-Olivier Giesbert, intitulée M. le Président, coincée sur un présentoir entre d’autres titres laissant, déjà, avant même de les avoir ouverts, songeur. On note, d’ailleurs, une tendance lourde sur les couvertures de ces ouvrages, c’est le titre dont le premier mot n’est formé que d’une lettre. « M. le Président », pour Giesbert (le titre est déjà un tout un poème, mais j’y reviendrai), Z pour Zemmour, dont on a envie de ne carrément rien dire, tant on discerne la manière dont la référence à Zorro joue le double rôle d’associer Zemmour à la justice tout en lui donnant un petit côté sympathique (mais rappelons nous que finalement, la seule personne à laquelle Zorro puisse s’adresser et qui le comprenne, c’est un sourd muet (en fait, il me semble qu’il n’est que muet, et qu’il entend peut être. Mais on le sait, même apte à entendre, on peut faire la sourde oreille); dans la manière qu’a Zemmour de parler au nom du peuple (c’est-à-dire à sa place), et à n’être en accord qu’avec des mal comprenant (et il n’y a pas pire comprenant que celui qui ne veut pas comprendre), on comprend que le rusé justicier masqué soit en quelque sorte un modèle pour Zemmour, bien que physiquement, le rapport avec Guy Williams, l’acteur qui endossait le rôle de Don Diego de la Vega soit un tout petit peu, disons, abstrait. Un conseil d’ami : Jetez tout de même un coup d’oeilà la couverture du livre de Zemmour. La mise en scène photographique est saisissante de naturel, à tel point qu’on ne discerne pas très bien s’il s’agit du livre d’un penseur ou de la biographie d’un toréro, ou d’un terroriste; on jugerait voir Zemmour se drapper dans sa cape, façon Fantomette, et s’enfuir en courant à petits pas chassés dans la nuit, en s’écriant quelque chose comme « Caramba ! »

Mais ça valait le coup de jeter un regard sur l’introduction troussée par M. Giesberg, car au milieu des flagorneries d’usage (assumées, précisons le, les premières lignes sont un plaidoyer pour la connivence des journalistes (quel sens donne t-il à ce mot ? Mystère…) avec les politiques, ce qui nous plonge immédiatement dans une certaine ambiance), il réussit, involontairement, tout en posant une question, à offrir une réponse à des questions que nous, on se pose depuis un moment (bon, à vrai dire, on avait déjà une idée des réponses qui pourraient y être apportées, mais FOG (nous aussi, on est connivents) les confirme à son esprit défendant, ce qui nous plait assez).

Alors, lecteur, tu ne t’y attendais pas, mais tu vas lire quelques lignes qui ont coulé de la plume du patron du Point (être le maître du point, c’est un bon début pour qui prétend être écrivain, n’est il pas ?) Ne me remerciez pas :

« Nicolas Sarkozy a tant de métier et de force de conviction qu’il peut très bien retourner la situation et être réélu en 2012. Rien ne l’abat jamais ; il renait toujours. Sa vitalité ne peut que fasciner.

Pourquoi, alors, tant de haine contre cet homme ? On a rarement vu un pouvoir autant vomi, moins pour sa politique que pour la personne de son chef, qui hystérise tout. J’ai cherché à comprendre. »

J’ai cherché à comprendre. Le projet fait sourire, dans la mesure où ce qui précède contient déjà les éléments de la réponse. Mais Giesbert, qui prétend pourtant être écrivain (en tout cas, son inénarrable page wikipedia mentionne une flopée de romans dont la couverture porte son nom) semble ne pas avoir saisi le sens véritable des termes qu’il emploie, passant à côté du problème que ce vocabulaire indique pourtant clairement. Or, on le sait bien, avoir correctement repéré le problème, c’est avoir déjà mis un pied dans la réponse.

C’est que faire se succéder ces deux phrases : « Sa vitalité ne peut que fasciner » et « Pourquoi alors tant de haine contre cet homme ? », c’est, selon, faire preuve d’une naïveté digne des mal comprenant évoqués plus haut, ou bien faire mine de ne pas comprendre. Parce que Giesbert, qui prétend connaître le sens des mots, prend soin de ne pas nous dire ici qu’il est convaincu ou intéressé par Sarkozy. Non, il choisit de préciser qu’il est fasciné par sa vitalité.

Or la fascination, au moins à deux titres, est exactement le terme qui convient à la relation que les restes d’un certain public entretient encore avec le président : être fasciné, c’est être attiré par ce qui provoque cependant de la répulsion, c’est un double mouvement, contradictoire, qui est lié à l’ambiguïté du désir, qui consiste à nous « plus que satisfaire », à nous faire aller au-delà de ce qu’on aurait conçu comme satisfaisant, là où l’expérience est initiatrice, à nous faire franchir un pas de plus, au-delà des limites qu’on s’était fixées. Regardons bien la politique en œuvre depuis quatre ans, il s’agit exactement de cela : toujours franchir les barrières morales qu’on s’était jusque là fixées, toujours entrouvrir la porte interdite du château de Barbe Bleue, toujours tenter le coup de la transgression, juste pour habituer le public à se confronter à des tendances qu’il ignorait, et qui étaient pourtant bien présentes, et à libérer celles qui étaient bel et bien là, tapies, mais qu’on n’aurait pas osé dévoiler aux yeux des autres. L’épisode Wauquiez, sur l’assistanat conçu comme cancer social, consiste précisément en cela : mettre les pieds dans le plat des idées qui ont déjà traversé les esprits, dans un moment de faiblesse, mais dont chacun savait bien jusqu’à présent qu’il s’agissait de mauvaises pensées, qu’on écartait immédiatement, conscient que cela allait évidemment contre la volonté générale, c’est-à-dire contre ce qu’on peut raisonnablement penser comme souhaitable. Wauquiez a simplement fait passer dans l’ordre du discours politique l’inadmissible. Or, comme la politique est aussi un art presque magique de la parole, tout discours tenu par un représentant du pouvoir obtient aux yeux du public une forme de légitimité. C’est ainsi qu’on fait passer, peu à peu, la non assistance à personne en danger pour une valeur républicaine.

A Rome, fascinus désignait ce que les grecs nommaient phallus, c’est-à-dire un sexe en érection. Et si les grecs envisageaient cet organe à géométrie variable, dans cette configuration, comme une promesse d’expérience réjouissante, les romains, eux, avaient développé à son endroit un sentiment ambivalent, mélange d’effroi et d’attirance, un vertige en somme, qui fut désigné par ce terme qui donna dans notre langue la « fascination » qu’éprouve Giesbert pour Sarkozy. Inutile de dire qu’on s’étonne peu de voir la virilité débarquer au beau milieu de la mécanique de séduction sarkozyste. Depuis le début, il ne s’agit que de cela : aller faire le coq au beau milieu de quartiers dans lesquels la seule légitimité que la population masculine trouve, pour compenser les humiliations du chomage et de la pauvreté, ce sont les démonstrations de force d’une mâlitude tantôt maladroite (« Vous êtes bien charmante, mademoiselle » appréciation effectuée gratos, de préférence avec ses cinq ou six potes juste derrière, qui approuvent et se marrent), tantôt violente (« J’t’explose »), qu’au lieu d’éduquer et de canaliser vers des voies vertueuses, Sarkozy vient provoquer en bombant le torse de ses gardes du corps (mais comment garder un corps en perpétuelle agitation qui semble être à lui-même son pire ennemi ?), entrant dans un concours crétin qu’en des conditions normales (c’est à dire non protégé par la fonction qui fait de lui, en théorie, celui qui protège les autres) il perdrait immédiatement, enracinant encore plus profondément dans ces hommes là ce qu’il prétend être venu karchériser. De virilité, il s’agissait déjà quand Zemmour (qui, tel un chevalier Jedi, signe son nom à la pointe de son épée taZer) s’inquiétait de voir le mâle français (comprenons, « blanc », non pas que lui soit raciste, mais que les gens, eux, ont parait-il des inquiétudes desquelles il se fait l’écho) disparaître, noyé dans la féminisation généralisée de l’égalité des sexes, dégénéressence dont ne souffrent pas nos banlieues, que Zemmour devrait considérer dès lors comme des lieux modèles, mais qu’il ne parvient pas à regarder autrement que sous l’angle pernicieux de la jalousie qu’éprouvent ceux qu’aim’raient bien, mais qui peuv’point.

Soyons un peu cruels, et enfonçons la porte désormais tellement grand ouverte du fameux point Godwin, qu’on peut désormais, à droite, se sentir à l’aise, ou décomplexé, avec ce genre de « détail » : le fascinus récèle d’autres secrets, plus éclairants encore, bien qu’un peu amers à avaler pour celui qui n’ose pas franchir le pas. Fascia, en latin (on n’ose croire que Giesbert n’ait pas fait de latin ; pour ma part, j’ai remplacé cette langue mort-vivante en première, la remplaçant par les arts plastiques, je n’en ai que des rudiments, mais ça n’empêche pas d’avoir un Gaffiot à portée de main), désigne des bandelettes ayant pour mission de rigidifier ce qui, sinon, manquerait de tenue. Jambes, seins des femmes, bref, tout ce qui doit être érigé. Ce rôle de lien, de rassembleur, est poursuivi dans le français faisceau, dont on sait bien que le sort veut qu’il fût l’un des symboles du fascisme. N’invoqueront le « sort » ou le hasard que ceux qui ne veulent pas comprendre. Les autres savent bien que la langue ne ment pas, et que les liaisons dangereuses de l’étymologie ont toujours à voir avec une juste description des choses telles qu’elles sont. Si Giesbert éprouve envers Sarkozy des sentiments liés au fait qu’il voit s’exprimer en lui une vitalité virile qui flageole un peu dans sa propre vie, et s’il éprouve dès lors une attirance qui lui rappelle simultanément une peur fondamentale, si l’agitation présidentielle lui donne l’impression qu’on lui permet de repousser un peu la limite au-delà de laquelle son ticket ne sera plus valable, et si il lie cette pulsion à la réélection de ce candidat là plutôt qu’un autre, c’est bien qu’il fait de la distribution générale de Viagra à un peuple en mal de testostérone une question centrale en politique. De Zemmour se plaignant, depuis des années, que les femmes libérées l’empêchent d’être l’homme qu’il aurait tant désiré devenir, alors qu’il n’est que ce petit être châtré qui contemple ses testicules conservées dans de l’alcool, dans un bocal situé tout en haut de l’armoire, gardé par des marâtres qui ont pour mission, martinet en main, de lui rappeler par un « Pas touche ! » qu’il devra demeurer toute sa vie un petit garçon, tout ça parce qu’il n’a pas pu donner cours à la commode définition traditionnelle du mâle, de Zemmour, donc, à FOG vivant par procuration une vitalité fictive à travers le corps de Sarkozy (les fictions ne s’encombrent pas, parfois, de cohérence, ni de crédibilité), il y a un trajet, dont les mots nous disent qu’il passe sur le territoire fasciste, dont on sait combien c’est une idéologie soucieuse de placer les sexes là cela se doit.

A vrai dire, et au-delà des questions de genre, on serait presque prêt à considérer qu’effectivement, la question de l’élan vital est centrale en politique. A ceci près que la politique mise en œuvre depuis quatre ans ne consiste absolument pas à restituer cette vitalité à ceux qui l’avaient peu à peu perdue, captée par ceux qui en tirent des bénéfices, piétinée par ceux qui font de l’usage de la force leur moyen de reconnaissance au quotidien. Au contraire, les plus modestes demeurent humiliés par la précarité de leur condition, comme castrés de tout pouvoir d’agir sur le monde, et de maîtriser leur propre existence, réduite à la simple quête des moyens de subsister, et les plus puissants manient toujours la force qui est la leur (c’est-à-dire, pour les uns le pouvoir de frappe économique, et pour les autres celle de leur poings, du nombre des membres du gang ou, de plus en plus, des armes), de moins en moins régulés par la seule force dont devraient disposer les plus faibles : un Etat qui les protège par la force commune (Wauquiez l’a dit : ce principe est un cancer).

A lire Giesbert, on comprend pourquoi on peut tomber si facilement dans la soumission face à un pouvoir qui dépasse ce que légitimement il peut s’autoriser. C’est que dans la violence, il y a toujours quelque chose de fascinant. Et on comprend bien qu’on est d’autant plus volontiers victime de ce genre de séduction qu’on n’a pas soi même à en souffrir. Parce que, tout de même, en dernier ressort, c’est bien de cela qu’il s’agit : Giesbert sait bien qu’il a tout à gagner du maintien de Sarkozy au pouvoir. Les couvertures du Point perdraient de leur saveur avec une phase d’alternance, et ce serait autant de moins à gagner pour lui. Et accessoirement, il fait partie de ceux qui ont quelques chose à gagner dans une politique qui réduit l’élan vital à quelque chose qui peut se mesurer en terme de poids d’un compte en banque. Il aurait tort de ne pas être fasciné par cette agitation, dans la mesure où elle est la promesse, pour lui, de lendemains qui chantent.

Inutile de dire que dès lors, la dernière phrase que j’ai citée, dan son livre, est nécessairement mensongère : ceux qui tirent avantage de ce pouvoir ne peuvent pas réellement chercher à comprendre. Ils préfèreront, pendant toute la campagne à venir, jouer les innocents qui placent leur attirance coupable pour ce candidat sur le terrain de la mystique plutôt que celui de l’économique. C’est que, depuis longtemps, c’est ainsi qu’on justifie ce qui, en terme de justice, serait sinon injustifiable. Vous verrez qu’un jour, lorsque les accusations pleuvront sur ceux qui ont participé et ceux qui ont soutenu ce mouvement par lequel nous retournons, l’air de rien, vers l’extrême droite, les mêmes innocents se justifieront dans les mêmes termes, affirmant avoir été victimes d’une séduction dont ils n’avaient pas tout à fait saisi les ressorts. Ce jour-là, on pourra ressortir ce genre de texte pour constater qu’en son temps, Sarkozy faisait tout simplement bander Franz Olivier Giesbert.

Petite précision à propos du titre. On peut trouver que la référence au fameux M. le maudit manque de finesse, ne serait ce que parce qu’a priori, le titre contredit le contenu du livre, qui considère Sarkozy, sur un ton à l’unisson du court extrait que j’évoque, comme une bénédiction (mais bon, c’est le genre de principe auquel les couvertures du Point nous ont habitué). Cependant, dans un mouvement final qui veut mimer les chats retombant sur leurs pattes, FOG désigne de manière bien familière notre président par le sobriquet « N le maudit ». Le principe est cependant clair : placer sur Sarkozy le poids de l’accusation populaire, pour en faire une victime, alors que par excellence, c’est lui qui s’est donné pour rôle de désigner telle ou telle partie de la population comme maudite en apposant dans son dos, sous le regard de tous les « autres », rendus peu à peu xénophobes, le « M » qui les stigmatise en les condamnant. Chez Fritz Lang, celui qui est ainsi banni est un criminel, certes, mais dont le crime prend racine dans le fait qu’il ne sait pas ce qu’il fait. Lors du semblant de procès dont la pègre ose prétendre être le juge, il se désigne de la manière suivante : « Toujours, je dois aller par les rues, et toujours je sens qu’il y a quelqu’un derrière moi. Et c’est moi-même ! (…) quelquefois c’est pour moi comme si je courais moi-même derrière moi ! Je veux me fuir moi-même mais je n’y arrive pas! Je ne peux pas m’échapper ! (…) quand je fais ça, je ne sais plus rien… Ensuite je me retrouve devant une affiche et je lis ce que j’ai fait, et je lis. J’ai fait cela ? ». Cette manière de se présenter comme innocent, être double mis en branle par des forces qui ne sont pas les siennes, cette façon de se présenter comme possédé par une vitalité qui n’est pas la sienne, et de ne comprendre ni la mise en action de cette force, ni la condamnation qui pèse sur elle, c’est mot pour mot l’attitude choisie par Franz Olivier Giesbert. On a là ce qu’on pourrait appeler un modèle de comportement politique. Ou un symptome. On a aussi là un des ressorts les plus puissants du sarkozysme.

Et pour faire un peu du boulot de l’éditeur, on signalera que, si on veut suivre jusqu’au bout la piste d’Orson Welles, alors le titre qu’il fallait donner à ce livre, c’est F for Fake.

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