Greenfields

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P1040377, première mise en ligne par yourikane.

Profitons du moment.

On est débarassés de Roland Garros, pas encore tannés par le Tour de France, le bac a l’air achevé puisque les élèves ne travaillent plus (les copies se corrigent toutes seules ou presque, puisque, comme on le sait, tout ceci est une vaste roulette russe, au cours de laquelle les correcteurs lancent les oeuvres dont ils sont responsables dans le grand escalier du hasard et se contentent de repérer sur quelles marches atterrissent les candidats, on y reviendra).

En somme, c’est encore un peu le printemps. Plus vraiment depuis la fête de la musique, certes, mais ça ne sent pas encore tout à fait l’été. Le calendrier aura beau faire, on veut notre printemps, on l’aura.

Si l’expression n’avait pas été déjà utilisée par une mourante en mal de formule, on serait tenté de prendre ses pataugas, d’aller gambader dans les bois en se disant « laissez verdure »; mais ce serait prendre le risque de tomber raide au pied d’un chêne, qui démontrerait là une fois de plus l’insolente supériorité des arbres sur les humains dans leur quête de longévité (preuve que, quand même, nos ancêtres grecs avaient le nez creux quand ils pensaient que la constance et l’ataraxie avaient quelque chose à voir avec le bonheur), et de contribuer qui plus est à son alimentation annuelle en se transformant, lentement mais sûrement en bête humus.

bref, c’est le printemps, le temps premier et on a comme l’impression que nos cellules reçoivent un codage nouveau, un update tout frais qui va nous permettre de non seulement passer l’été sans laisser la peau à la première canicule venue, mais aussi d’être irrésistibles sur les plages, beaux à croquer comme des fruits juste à point, prêts à être cueillis et consommés, voire même consommés sur la branche, comme ça, à cru.

En même temps, comme on ne se refait pas, dès que ça va bien, en même temps, ça va pas, parce qu’on sait que ce n’est qu’une saison parmi trois autres, qu’elle est déjà officiellement achevée alors qu’elle semble ne pas avoir été inaugurée, et tout ça a déjà un parfum d’automne (c’est peut être ça, le secret des arbres : ils sont entièrement à ce qu’ils font : ils voient leurs feuilles apparaître comme si c’était une naissance première, sans mémoire des précédentes venues au monde, et des précédentes petites morts que constitue chaque automne, sans pré-science de la prochaine chute; le chêne est dans un présent permanent, sans mémoire et sans inquiétude, il peut acquiescer à la vie sans réserve, là est peut être le secret (oui, certes, c’est aussi le secret de cette forme d’innocence qu’on peut, aussi bien, appeler le crétinisme)).

Peu importe, notre manière à nous autres, humains, de parvenir à la sérénité sylvestre, à cette veille d’inauguration perpétuelle, c’est une certaine tendance que nous avons à regarder les choses passer, et à parvenir à ne plus y résister. C’est pourquoi notre printemps est nostalgique, par anticipation. Mais ça permet aussi de ne pas tout à fait mourir à l’automne, et de passer l’hiver.

Verte nostalgie, ça m’a fait penser à une bonne vieille chanson du patrimoine quasi public américain, une chanson intitulée « Greenfields », aux paroles totalement nostalgiques, et à la mélodie néanmoins sereine. Pas la sérénité telle qu’on peut l’imaginer, niaiseuse comme on sait le faire par chez nous. Non, plutôt une quiétude des grands espaces, avec des voix sobrement posées, qui n’en imposent pas par le boulot apparent, ni par la virtuosité, mais qui sont, simplement, (et c’est ce qu’on demande à une voix, non ?), présentes.

Une chanson inondée de verdure, et qui ne tombait pas dans le bucolisme, c’était exactement l’impression que m’avait laissée Greenfields, chanson maintes fois reprise, mais que je connaissais interprétée par un quatuor de frères, originalement nommé les brothers four. Un peu comme des compagnons de la chanson, mais américains, moins pathétiques, mais peut être un poil trop lisses quand même. Et pourtant déjà, on éprouvait à leur écoute ce sentiment de passage lent et irrémédiable du temps, et des choses qui le peuplent.

Une chanson de perte de l’essentiel, quelque chose que Blaise Pascal aurait pu écrire s’il avait été gardien de moutons, au sommet de la montagne Brokeback, quand l’univers lui aurait semblé avoir été déserté du seul regard qui vaille, de la seule présence comblante, alors qu’il essayait vainement de combler une faille béante dans un univers désormais insensé, sourd, aveugle. Absurde. Et il n’y avait guère que des chanteurs de quasi country, de total folk pour parvenir à demeurer si sereins face à ces immensités vides, à ces déserts où nous ne pouvons plus qu’errer. Et c’était ça, Greenfields. Une immensité un peu froide, désertée de toute présence humaine, désincarnée.

Puis vint le printemps de cette chanson pourtant si automnale (tellement automnale qu’on avait l’impression que l’automne était devenu l’unique saison, comme si les champs ne pouvaient plus être verts que dans nos mémoires), quand David Kosten la reprit en mains, et demanda à Michael Stipe de venir coucher sa voix sur le matelas de mousse sonore qu’il lui avait préparé. Ce ne sont plus les parfaites harmonies du quatuor qui nous sont offertes, mais la justesse d’une de ces voix qui sont aussi des regards, une introspection retournée vers l’extérieur, une résonnance. Une voix, quoi. Soudainement, sans être davantage sensée, la solitude et l’abandon devenaient une histoire, il y avait quelqu’un dans ces paysages vides, une âme qui vive, fût-ce péniblement.

Finalement, c’est peut être ça, notre printemps à nous autres, humains (quand nous n’oublions pas de l’être, ou qu’on ne croit pas l’être de fait alors qu’il s’agirait plutôt de l’être en acte) : la résonnance dans les autres d’une voix dans laquelle on aimerait reconnaître la sienne.

 

NB : Le titre repris par Michael Stipe se trouve sur l’album « Your love means everything », de Faultline (l’identité sous laquelle David Kosten publie ses petits chefs d’oeuvre), qu’on ne saurait trop conseiller, en toutes saisons, parce que ce disque a la permanence des choses qui commencent à toucher à un peu d’éternité (bon, contentons nous de permanence et d’un peu de durabilité, ça demeurera davantage humain.

Quant aux Brothers four, pour les amateurs, il existe une compilation de leurs meilleurs titres. Mais Greenfields me semble demeurer au dessus du lot, comme si ça les dépassait eux mêmes.

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