Sur les crêtes

In "CE QUI SE PASSE", CHOSES VUES, MIND STORM, PROPAGANDA
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Lue, sur le blog de Natacha Polony, ces quelques lignes à propos du voile intégral (au sein d’un article dont un certain nombre de points sont assez conformes à ce que je serais tenté de penser aussi (sur l’éducation aux valeurs, par exemple), qui me semblent confirmer un soupçon que j’avais évoqué quelques articles plus tôt :

« Il n’est sans doute pas inutile de souligner en préalable que le voile intégral n’a rien de religieux. Qui a lu le Coran – et ce devrait être le souci de tous les actuels débateurs – sait que les trois sourates qui évoquent l’idée d’un voile parlent de le « rabattre sur la gorge » et de cacher les attraits, ce qui, même dans une lecture littérale qui oublierait que le Coran fut écrit à une époque où les femmes pouvaient être agressées, n’a rien à voir avec ce très ostentatoire drap noir qui jette à la face des autres le refus de les considérer comme des semblables bienveillants. Le voile intégral est une provocation et une agression en ceci qu’il part du principe que les autres sont dangereux ; il leur dénie l’humanité, c’est-à-dire la maîtrise de soi, de ses désirs ; il détruit toute société au profit de la tribu, de la famille vécue comme clan protecteur contre un monde hostile. Il sépare surtout le monde entre le pur et l’impur, à la manière de toute manifestation sectaire, et, comme elle, recrute des personnes fragiles qu’elle coupe peu à peu de leur milieu social en leur proposant une lecture binaire et rassurante du monde. » (http://blog.lefigaro.fr/education/2010/01/voile-integral-education-reeducation.html)

Plus je regarde fonctionner et s’exprimer ces femmes invisibles, plus elles me font penser aux punks tels qu’il a pu en exister au moment où ce mouvement n’était pas une mode : provocation, agression, déni de l’humanité de l’autre homme, destruction de la société, sectarisme. Tous les ingrédients y sont. Rajoutons un défi jeté à la figure de ce monde, une méfiance globale envers ce qui est censé constituer les raisons qui font que nous sommes « ensemble », que nous formons un corps social.

Dans leur manière de mettre en avant, comme unique apparence, leur distance vis à vis des « autres », dans leur absence extrêmement voyante, évidemment voulue, évidemment provocatrice, il y a quelque chose de ce que le mouvement punk exprimait, lui aussi, en son temps : le doute vis à vis de l’humanité de l’autre homme, la 294_diogene_ou_la_luciditeremise en question immédiate, brutale, des valeurs qui se décrètent un peu trop facilement comme dogmes indiscutables. En poussant un peu les choses, elles me font penser à Diogène, se déplaçant en plein jour dans les rues, lanterne à la main, collant la lumière sous le nez des passants, et leur demandant, tout en les éblouissant, s’ils n’auraient pas vu un être humain quelque part. Voiler ou éblouir, c’est du pareil au même, il s’agit de renvoyer l’autre à son propre aveuglement, de lui dire « toi, tu n’es pas autant humain que tu pourrais l’être, et ce que tu mets en avant comme étant essentiellement humain, je ne m’y reconnais pas ». Evidemment, ça nous pose question, évidemment, ça nous renvoie à ce sentiment désagréable de n’être pas un fantasme universel. Il n’est pas certain que ce soit une si mauvaise chose que d’être ainsi remis à distance : nous adhérons déjà tellement à nous mêmes que le moindre recul à notre approche nous plonge dans un malaise manifestement profond; il est peut être bon qu’on l’éprouve un peu, ce malaise. Nous le faisons tellement subir au reste du monde.

Restera à faire quelque chose de cette position. La détresse dans laquelle semble nous plonger cet accoutrement semble indiquer que nous n’avons même plus confiance dans l’outil le plus efficace contre les attaques faites à nos propres modes de vie : le marché. Marchandisons le voile, diluons le dans le bouillon des modes, du buzz, enlevons lui tout effet corrosif en le transformant en objet anodin, comme nous l’avons toujours fait pour le reste, il n’en restera, à la fin, rien.

Et nous serons convaincus d’avoir vaincu un nihilisme supplémentaire, et d’être revenu à l’Ordre souhaité.

Ce sera simplement oublier que le marché tel qu’il est actuellement promu ne supporte et ne suit lui non plus aucune valeur. Il est notre objet commun, on fait en sorte qu’il soit peu à peu le seul lien social. Et si on ne se trompe pas, il semble bien qu’on puisse lui appliquer les termes que Natacha Polony utilisait pour décrire l’attitude des femmes se voilant intégralement : le marché se mure dans son propre dispositif, il se fout bien de savoir s’il a des effets humanisants ou aliénants, il ne se soucie que des aliénations qui constituent un obstacle à son propre développement, et il accepte celles qu’il provoque lui même. Il est partiel et partial, il méprise tout ce qui n’est pas lui, et sur réagit à tout ce qui ne parle pas son propre langage.

Et à la lecture de l’article de Natacha Polony, malgré les points sur lesquels on pourrait trouver un accord, on ne peut s’empêcher de se dire que, publié ainsi dans le cadre du site du Figaro, il y a quelque chose de risible à lire dans ces lignes l’importance accordée à une éducation qui ne soit pas un catéchisme, qui soit un accueil dès le plus jeune âge dans une société ouverte à tous, permettant à chacun de s’accomplir pour ce qu’il est, sans devoir subir une volonté qui ne soit pas aussi la sienne. C’est bien beau, mais on sait aujourd’hui (et on en a, tout de même, la preuve quotidienne à travers l’action que mène le gouvernement qui est le nôtre, et ce entre autres sur le terrain de l’éducation) que la loi du marché tel qu’on le conçoit actuellement ne respecte pas ces beaux principes, parce qu’il n’a lui même aucun principe, qu’il ne fait que mimer les principes pour mieux séduire, et ensuite mieux trahir. Et on ne peut que craindre que cet article fasse, consciemment ou pas, partie du dispositif de séduction.

Alors, dans ces conditions, effectivement, No Futur.

Illustration trouvée sur le site de Gilbert Garcin, les photos de femmes voilées n’ayant pas de sens, et celles de Punk n’ayant aujourd’hui plus aucune valeur, leurs codes ayant été récupérés, digérés et vomis par tout ce que les modes actuelles ont de plus cynique nihiliste.

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