Rendre lame

In CHOSES VUES, MIND STORM, PAGES, texticules

UNITED STATES - JUNE 03: Detective Frederick Stepat and policewoman McCarthy escort Valeria Solanas, 28, into 13th pct, for the shooting of Pop Art movie man Andy Warhol at his 33 Union Square West office. Valerie surrendered to a cop in Times Square, allegedly admitting shooting, and saying:(34)I am a flower child.(34) Warhol is in critical condition. His associate, Mario Amaya of London, was also shot. (Photo by Frank Russo/NY Daily News Archive via Getty Images)

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Trouvé il y a quelques jours sur le mur FB de Christophe Renaudot, que je ne connais d’ailleurs que muralement, un extrait de la préface que Christiane Rochefort écrivit en 1971 pour l’ouvrage, connu, de Valérie Solanas (connue, aussi, pour avoir quelque peu perforé, à l’arme à feu, Andy Warhol), SCUM Manifesto. Elle y abordera la question du rapport agresseur/victime sous un angle un tout petit moins policé que ce qu’on se permet d’habitude. Et on se dit en lisant ces lignes qu’il y a à quelque chose d’assez justement observé, et sans doute vécu : se déclarer victime ne change pas grand chose au dispositif qui fait qu’on est victime. Ça aurait même tendance à installer les choses selon un ordre qui, peu à peu, se naturalise, conçu et vécu comme un ordre normal, déplorable certes, mais avec lequel il faudra bien faire. 

Alors Christiane Rochefort affirme qu’il vaut bien mieux prévenir que guérir. Et prévenir, c’est tirer au moins un coup de semonce. Ce que fit Valérie Solanas, tout à fait concrètement, le 3 juin 1967, arme au poing. Parce que les rapport de domination sont tous les mêmes : ils ne se négocient pas, ils se renversent. 

« Il y a un moment où il faut sortir les couteaux. C’est juste un fait. Purement technique. Il est hors de question que l’oppresseur aille comprendre de lui-même qu’il opprime, puisque ça ne le fait pas souffrir : mettez-vous à sa place.

Ce n’est pas son chemin. Le lui expliquer est sans utilité. L’oppresseur n’entend pas ce que dit son opprimé comme un langage mais comme un bruit. C’est dans la définition de l’oppression. En particulier les « plaintes » de l’opprimé sont sans effet, car naturelles. Pour l’oppresseur il n’y a pas d’oppression, forcément, mais un fait de nature. Aussi est-il vain de se poser comme victime : on ne fait par là qu’entériner un fait de nature, que s’inscrire dans le décor planté par l’oppresseur.

L’oppresseur qui fait le louable effort d’écouter (libéral intellectuel) n’entend pas mieux. Car même lorsque les mots sont communs, les connotations sont radicalement différentes. C’est ainsi que de nombreux mots ont pour l’oppresseur une connotation-jouissance, et pour l’opprimé une connotation-souffrance.

Ou : divertissement-corvée.

Ou : loisir-travail. Etc.

Allez donc causer sur ces bases. C’est ainsi que la générale réaction de l’oppresseur qui a « écouté » son opprimé est en gros : mais de quoi diable se plaint-il ? Tout ça, c’est épatant.

Au niveau de l’explication, c’est tout à fait sans espoir. Quand l’opprimé se rend compte de ça, il sort les couteaux. Là on comprend qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Pas avant.

Le couteau est la seule façon de se définir comme opprimé. La seule communication audible. Peu importent le caractère, la personnalité, les mobiles actuels de l’opprimé. C’est le premier pas réel hors du cercle. C’est nécessaire. »

Préface à l’édition française de SCUM Manifesto,
de Valérie Solanas,
écrite par Christiane Rochefort en 1971 

Un dernier détail, pour la route : pourquoi SCUM Manifesto ? Parce que le SCUM était l’association, dont l’unique membre était Valérie Solanas, dont le nom était, aussi, le programme : Society for Cutting Up Men. Je l’avais dit, c’est tout un programme !
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Illustrations : photographie de presse, montrant Valérie Solanas escortée par le détective Frederik Stepat et la policière McCarthy, puis une autre photographie, de nouveau en bonne compagnie policière.

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