Provisoirement

In "CE QUI SE PASSE", Il voit le mal partout, MIND STORM
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Alors, ça se passe bien, le bac ?

D’habitude, quand on pose cette question courant Juin, c’est qu’elle est adressée, soit à un candidat plongé dans le grand bain des épreuves, soit à ses parents, soit à un des professeurs qui accueillent pour une dizaine de jours une centaine de copies auxquelles il offrira le gite, à défaut du couvert, et un traitement qui tentera de trouver dans la bienveillance la juste mesure entre le trop sévère et le complaisant.

Cette année, la question a un autre sens, puisqu’elle demande, en fait, si le bac a lieu tout court.

Et rassurons-nous, puisqu’il importe d’être rassurés, puisque nous sommes apparemment très angoissés par cette question : oui, il se passe.

Ça va passer ça va passer ça va passer

Mais si on se contentait de répondre ainsi, on pourrait nous reprocher d’avoir fait glisser le sujet, et de ne pas répondre à la question posée. Celle-ci demande si le bac se passe bien. Mais voila, parce que, politiquement, il s’agit avant tout de sauver les apparences, on fait mine de penser que, à partir du moment où il se passe, c’est qu’il se passe bien.

Mais qu’est ce qu’un bac qui se passe bien ? Sans même prendre en considération le fait que ce soit un examen auquel les élèves soient, également, bien préparés (ce qu’ils ne sont pas, du tout), c’est tout d’abord un examen qui se passe dans des conditions conformes aux textes qui encadrent son organisation.

Par exemple, il est prévu que les candidats soient surveillés. Or, forcément, quand l’examen affronte une grève de ceux-là même qui devaient le surveiller, il devient plus compliqué de mettre des surveillants dans les salles. Dans mon lycée, sur une centaine de professeurs, une quarantaine était en grève le jour de la première épreuve, la philosophie. Qu’à cela ne tienne, le proviseur organise l’épreuve quand-même.

Malgré-tout, malgré-nous

Il l’organise, tout d’abord, en amont. Comme tous ses collègues, il envoie, la semaine précédente, un ordre de convocation générale, ameutant toutes les troupes disponibles en salle des professeurs le lundi matin, à 7h30, délaissant le planning de surveillance initialement prévu, afin de compter les forces dont il dispose. Selon les établissements, la stratégie choisie diffère : soit on prévient dès le mercredi, parce qu’on est encore un tout petit peu respectueux des enseignants, soit on envoie un message le vendredi soir, sur la messagerie interne du lycée. Selon les directions, le ton du message lui aussi varie : certaines équipes « convoquent » le personnel, d’autres « réquisitionnent », décidant elles-mêmes du sens des mots, et s’arrogeant un pouvoir qu’elles n’ont pas, une réquisition ne se décidant et ne se notifiant absolument pas de cette façon.

Arrêtons-nous sur cette façon de faire une seconde, parce qu’elle n’est pas anodine : convoquer tout le monde en salle de professeurs parce qu’une proportion – dont on craint qu’elle ne soit pas négligeable – de professeurs compte faire grève le jour J, et annoncer qu’on établira, à ce moment, quelles sont les forces disponibles afin d’organiser la surveillance, ça consiste très explicitement à dire qu’on va remplacer les grévistes par d’autres collègues.

Disons-le autrement, ça consiste tout simplement à remettre en cause le droit de grève.

On peut assaisonner la pratique avec toutes les sauces, et verser celles-ci dans un discours salade, selon lequel le baccalauréat serait sacré (mais s’il l’est tant que ça, pourquoi mettre en oeuvre une réforme qui le fait disparaître ?), ça ne change rien au principe : faire grève, c’est ne pas se présenter à son poste. Et donc ne pas remplir sa mission. Si quelqu’un d’autre le fait à notre place, c’est un briseur de grève. Et si on organise les choses de telle façon qu’on ne sait plus qui est censé faire quoi, et qu’on peut mettre n’importe qui n’importe où, alors c’est que l’organisation elle-même a pour but premier de briser la grève. Comme but premier, oui. Parce que lorsqu’on mène les choses ainsi, c’est que l’examen, lui, passe au second plan.

Il passe au second plan tout d’abord parce que la grève vise à préserver l’examen lui-même, et le peu de caractère républicain qu’il lui reste. On ne va pas refaire la démonstration, mais le diplôme qui va nous tomber dessus sera inégalitaire, non seulement dans son obtention, mais aussi dans la valeur qu’il aura pour les uns et les autres.

Mais il passe au second plan, aussi, dans sa mise en oeuvre, parce qu’on prend le risque d’organiser l’épreuve coûte que coûte. Or le premier coût, c’est le piétinement du droit de grève (mais ça, on comprend que le pouvoir actuel voit là une aubaine, et l’occasion de piétiner ce qu’il considère comme un caillou dans sa chaussure), et le second coût, c’est la façon dont l’épreuve a lieu.

Under the radar

Vous avez déjà été élève, non ? Bon, soyons honnêtes, ça fait quoi, un élève, si on ne le surveille pas ? Voila, vous avez trouvé tout seul, tout de suite. Maintenant, on peut observer d’un peu plus près cette information selon laquelle le bac s’est bien passé. En fait, pour être plus précis, il s’est passé, c’est à dire qu’il y avait un surveillant par salle. Mais, au fait, combien doit-il y avoir de surveillant pour que l’épreuve se passe bien ? Réponse simple : suffisamment pour surveiller. Or, un seul surveillant, ça ne permet pas de surveiller correctement.

D’abord parce qu’on n’a pas que ça à faire. Passons sur le fait que certains collègues viennent avec le dernier Musso, que d’autres finissent de corriger un paquet de copies, ou remplissent leur paperasse administrative pendant l’épreuve. Il y a aussi d’autres choses à faire, qui sont liées à l’épreuve elle-même : sitôt les sujets distribués – première étape qui se passe de façon bien plus organisée si on est au moins deux – , alors que les candidats ont commencé à composer, vérifier, un par un, les convocations et pièces d’identité, et faire émarger chacun ; autant dire que pendant que vous êtes concentré sur le passeport de Jean-Joseph pour tenter d’établir une correspondance morphologique entre sa photo d’identité prise à l’âge de 13 ans et son physique de jeune adulte actuel, dans votre dos, il peut se passer à peu près tout et n’importe quoi. Et ce n’importe quoi, il relève de ce que le bon surveillant doit signaler dans le rapport d’épreuve. Et ce n’importe quoi, il peut avoir des conséquences pour l’élève.

Or, en organisant l’épreuve coûte que coûte, et en n’affectant qu’un seul professeur par salle, on incite les élèves à prendre le risque de se comporter comme le règlement l’interdit. Et au passage, on sape aussi l’autorité des enseignants, laquelle ne coule pas dans les veines de certains pendant que d’autres en seraient génétiquement totalement dépourvus (cette conception de l’autorité encourage l’autoritarisme, et non la véritable autorité). L’autorité souhaitable, c’est celle qui émane de l’institution, et dont la présence du professeur est le relais, dans une confiance mutuelle. Bon, autant dire que quand on surveille le bac, tout seul dans une grande salle, avec pour motivation, soit le fait que « le bac, c’est sacré », soit qu’on en est à 100€ près, soit qu’on est contractuel est que l’enjeu de ne pas faire grève, c’est de voir son contrat renouvelé, la question de l’autorité ne se pose plus tellement, quant à la confiance, s’il en reste encore un peu, on s’accordera à dire qu’elle est tout de même très mal placée.

J’oubliais. L’autre truc que les surveillants doivent faire, tout en surveillant, c’est récupérer les copies à la fin de l’épreuve. Sauf que la fin de l’épreuve n’a pas lieu à la même heure pour tous les candidats, puisque le candidat, quand il a fini, il rend sa copie, et il part. Il doit rester une heure en salle, après, s’il a fini, il s’en va. Or, le processus consistant à rendre sa copie réclame, de la part des surveillants, un peu de prudence. D’abord, il faut vérifier que l’élève rende bien la totalité de sa copie (vous allez rire, mais je ne sais combien de fois j’ai vu des élèves mettre les deuxième, troisième copies, ou la carte de géographie, avec le brouillon, et ne pas les rendre), vérifier qu’ils ont bien rempli les en-tête, et qu’ils ont bien rempli  » les deux étages « , qu’ils ont bien numéroté les pages; puis échanger la copie contre leur convocation (car oui, on les a toutes récupérées en début d’épreuve, puis classées par ordre alphabétique), puis faire émarger, puis coller les étiquettes qui permettront, ensuite, d’anonymer les copies. Là aussi, amusez-vous à faire ça tout seul dans une salle avec une vingtaine, voire une trentaine de candidats. En réalité, au moment où vous accomplissez cette part de la mission de surveillance, si vous êtes seul, les candidats ne sont plus surveillés.

Les toilettes, zone stratégique

Autre truc que j’oubliais. Un truc tout bête. Un simple phénomène biologique lié à un de nos organes qui est plus particulièrement sollicité le jour de la première épreuve, la vessie. Un simple phénomène tactique, aussi, car les toilettes sont un peu au candidat ce qu’est le Luxembourg au spéculateur soucieux de défiscaliser ses revenus : une sorte de paradis. Au bout d’une heure, les élèves ont le droit d’aller, un par un, aux toilettes. Y vont-ils seuls ? Grand Dieu non !! Mais alors, jusqu’où les professeurs accompagnent-ils les élèves ? Alors, en fait, on ne les accompagne pas tout à fait jusqu’au bout, parce que « le bac c’est sacré », certes, mais un peu moins, quand même, que l’intimité des personnes que sont, par ailleurs, les élèves. Mais bon, ce qui est un moment de pause pour les candidats, est aussi le moment de la reconversion pour les professeurs, qui deviennent, le temps d’un soulagement de vessie, dames-pipi, ou hommes-pipi (et si l’une des deux formules vous hérisse plus que l’autre, c’est que vous avez un sérieux problème de sexisme à régler, auquel on vous conseille de vous atteler illico). On ne peut donc pas surveiller la totalité de cette pause, mais le but, c’est que le laps de temps laissé sans surveillance soit le plus réduit possible. Ainsi, on les accompagne dans le couloir jusqu’aux sanitaires. Mais voila : si on peut à peine caser un surveillant par salle, autant dire que personne n’accompagnera l’élève. Et qu’il n’y aura pas, non plus, de « surveillant de couloir ». Bref, les élèves ne seront pas surveillés. Ils pourront se croiser dans le couloir, échanger entre eux une information, ou un document.

Je sais ce que vous vous dîtes : au pire, voila, les élèves tricheront. Oui, exactement. Déjà, je peux vous dire que quand on les surveille, ils tentent le coup, alors s’ils sont moins surveillés… Mais le problème, c’est que l’interdiction de tricher est la condition de l’égalité de tous devant l’épreuve. Mais elle est aussi la condition de l’égalité de la valeur du diplôme pour tous. En effet, si ça se sait que les élèves trichent, qui va-t-on soupçonner de le faire ? Les élèves les plus modestes, dont les établissements se trouvent en zone plus délicates. C’est comme ça, le stéréotype de l’élève de certaines banlieues implique la présence en lui d’une haute propension à la tricherie. Dès lors, moins on surveille les épreuves, plus on soupçonne tout particulièrement ces élèves ci d’avoir triché, et pas les autres.

Instituer l’inégalité, en généraliser les causes

La preuve, c’est qu’en réalité, pour les épreuves d’ores-et-déjà notées en interne, tout le monde sait que les élèves de certains « bons lycées » sont avantagés par rapport aux autres. Par exemple, bon nombre de ces établissements choisissent délibérément de mettre la note maximale à leurs élèves pour l’épreuve de TPE. Et ceux qui respectent scrupuleusement la notation, ce sont les établissements dans lesquels se trouvent les élèves les plus modestes. C’est un fait déjà acquis, reconnu par les proviseurs, tout le monde le sait. Comment se fait-il qu’on ne le dise pas, qu’on ne le dénonce pas, comment se fait-il que ça se fasse ? Tout simplement parce que les élèves concernés et leur établissement sont hors de tout soupçon. D’ailleurs, l’accusation ne tiendrait pas longtemps, on répondrait qu’il n’y a pas tricherie, ni arrangement, les élèves sont, vraiment, meilleurs que les autres.

Le niveau de cette égalité est déjà suffisamment élevé pour que, lorsque des lycées plus modestes se mettent eux aussi à décerner des 20/20 fictifs à leus élèves dans cette discipline, ça ne provoque finalement aucune réaction, parce qu’alors on mettrait les pieds dans le plat et on demanderait pourquoi les plus modestes n’ont pas droit aux mêmes arrangements que ceux pour qui ça va déjà très bien, merci. Mais on devine donc à quoi va ressembler le baccalauréat à l’avenir, dans la mesure où il sera presque entièrement évalué en interne. Questionnée à ce sujet, on a entendu une inspectrice répondre qu’il fallait avoir confiance en la déontologie des professeurs. Déjà dubitatifs quant à ce voeu pieux, on nourrit aussi quelques soupçons sur la déontologie de certains parents et, surtout, des principes de certaines directions d’établissement.

Donc, si on résume : le bac de cette année ne se passe pas très bien. Et en réalité, ça fait des années qu’il ne sa passe pas d’une façon satisfaisante. Ce qui, manifestement, ne troubler personne, puisque les raisons mêmes en vertu desquelles il se passe de façon inégalitaire vont être, tout bonnement, généralisées.

Précariser le local, c’est renforcer le global

Or, où la mobilisation a-telle été la plus forte ? Dans les zones délicates évidemment, tout simplement parce que c’est là, aussi, que la mobilisation est tout le temps la plus forte. Parce que les enseignants qui, volontairement, vont travailler là plutôt qu’ailleurs, sont portés par une conscience politique particulière, qui les rend plus sensibles que la moyenne aux injustices scolaires. Ça ne veut pas dire que les autres professeurs n’y sont pas sensibles, mais que s’ils le sont, ils sont plus isolés, trouvent moins d’échos de leurs inquiétudes chez leurs collègues, peinent à mobiliser et abandonnent l’idée de participer à une action de masse.

Il y a une deuxième raison au fait qu’on se soit plus mobilisé là qu’ailleurs, et donc au fait que le bac se soit déroulé de façon précaire, là plus qu’ailleurs : c’est aussi là que, le reste du temps, on manque le plus de moyens, quand bien même on en a statistiquement plus qu’ailleurs. Mais voila, le surplus de moyens n’est pas, du tout, à la hauteur des immenses déficits, de toutes natures, dont souffrent les élèves scolarisés là plutôt qu’ailleurs. Cette injustice globale, que l’école ne pourrait compenser qu’à condition d’organiser une véritable école de la République, c’est à dire une école dans laquelle enfants et jeunes de toutes conditions étudieraient vraiment ensemble, cette injustice, les professeurs impliqués dans ces établissements, ils les constatent à longueur de temps, et ils voient bien à quel point elles sont non seulement acceptées, mais organisée par un certain type de pouvoir politique, celui qui distingue les premiers de cordée, et font en sorte que les sherpas restent bien à leur place, serviles et obéissants.

On comprend mieux d’ailleurs, pourquoi on préfère envoyer dans ces établissements, plutôt qu’ailleurs, de jeunes gens qu’on va chercher dans les grandes écoles pour les injecter, comme contractuels, dans les salles de professeurs; on se doute bien que ces recrues particulières, si elles n’ont pas été miraculeusement converties au souci républicain par leur année passée en zone sensible, auront allègrement surveillé le baccalauréat, refusant par principe de faire grève le jour où on célèbre un tel sacrement.

Attachés de presse

Une question se pose, alors. Les proviseurs, et leurs adjoints, quand ils organisent les épreuves de cette façon, remplissent-ils leur mission ? On entend ce discours complaisant, consistant à trouver toutes les excuse du monde aux administratifs, parce qu’ils seraient liés par une sorte de vœu de silence, un Suprême Devoir de Réserve qui leur interdirait de prononcer un propos qui n’aille pas dans l’exact sens du discours de leur hiérarchie, sous peine d’en subir les conséquences. Mais l’argument majeur n’est pas celui-ci (il serait trop facile à combattre, parce qu’il serait focalisé sur leur intérêt particulier, leur risque personnel), c’est plutôt le service républicain qui est convoqué : les personnels de direction protégeraient l’égalité républicaine en faisant en sorte que les épreuves aient lieu partout, quels que soient les obstacles qu’ils doivent abattre pour ce faire, quand bien même ils relèveraient du droit du travail.

Fort bien, mais pour que l’égalité républicaine soit respectée, il faudrait non seulement que l’épreuve ait lieu partout, mais qu’en plus elle le soit partout de la même façon. Or, on l’a vu, ce n’est pas le cas. D’un lycée à l’autre, sur l’élément fondamental de l’épreuve qui consiste en sa surveillance, les disparités sont énormes. Et le proviseur qui n’envoie qu’un seul surveillant dans une salle où il en faudrait au moins deux, le sait. Il sait ce qu’il fait, et il sait donc à quoi il participe.

Au moment précis où il fait ça, il n’est plus agent républicain, il n’est plus fonctionnaire œuvrant pour le bien commun. Il n’est plus le relais d’une institution qui vise à faire les choses bien, et ce pour le bien des citoyens. Il devient l’agent de communication d’un gouvernement qui a besoin de faire passer les choses pour ce qu’elles ne sont pas. Disons-le autrement. Il permet à un ministre de sauver la face et les apparences, en cachant le fond des choses. Il permet de faire croire que l’écrasante majorité des professeurs est en accord avec la réforme engagée, puisque l’écrasante majorité des épreuves a eu lieu. Que dis-je ? Puisque la totalité des épreuves a eu lieu, c’est que la totalité des enseignants est enthousiaste à la perspective de mettre en oeuvre une réforme qui n’est même pas finalisée !

En réalité, le personnel administratif, dans l’Education nationale comme dans d’autres institutions, n’est plus utilisé pour porter la parole de la République, mais pour être la voix publique d’un parti. Un proviseur qui organise, mal, des épreuves du baccalauréat, devient le porte-parole d’un parti qui a pour ambition de n’avoir aucun adversaire, et qui revendique le pouvoir de faire disparaître les autres formations politiques, quelles qu’elles soient. Si on ajoute à ce constat les doutes qu’on peut légitimement avoir quant aux intentions profondes de ce parti vis à vis de l’éducation, qui est envisagée comme un marché, et non comme un bien commun, on est en droit de se demander quelle attitude on doit avoir, envers ce pouvoir, mais aussi envers tous ceux qui, consciemment ou pas, s’en font les agents.

A contre-rancoeur

Voila le mensonge auquel contribuent les personnels de direction qui organisent les épreuves de cette façon. Il n’y a, là-dedans, rien qui serve l’intérêt de tous, puisqu’on cache les données dont a besoin la réflexion citoyenne pour établir si les choses se passent conformément à la volonté générale, ou pas. Celle-ci veut-elle que les épreuves du bac aient lieu n’importe comment afin qu’un ministre puisse dire que sa réforme est bonne ? Non.

Doit-on pour autant leur en vouloir ? Il n’est pas certain qu’il soit utile d’en vouloir à qui que ce soit. C’est ainsi. Les chefs d’établissements sont tels qu’on les fait. Ils sont liés par un faisceau assez serré d’obligations, tissé à partir de fils qui vont d’une certaine conception, assez peu politique dans le fond, de la République, à l’argent évidemment, en passant par des logiques de classe, un mépris des professeurs, mais aussi le souci sincère de bien faire les choses, et une espèce de droiture qui les encourage à obéir, quoi qu’il arrive. On peut se passer de la rancœur qu’on pourrait avoir, et ravaler celle-ci, parce qu’elle est un problème plus qu’une solution, et puis, politiquement, on n’en est plus à une aigreur d’estomac près.

On ne peut cependant pas faire comme si leur droiture, quand elle existe, n’était pas un obstacle. Pris en étau entre la relation quotidienne avec leur équipe pédagogique d’un côté, et leur hiérarchie de l’autre, ils sont probablement la partie de la mécanique institutionnelle qui morfle le plus. Les enseignants en prennent plein la figure, certes, mais ils le savent, et ils peuvent en parler ensemble. On peut parier qu’à l’inverse, le personnel de direction souffre en silence, dans l’impossibilité d’exprimer ce que ça fait, d’être écartelé.

Dans leur conviction d’appartenir au genre des maîtres plutôt qu’à celui des serviteurs, dans leur hantise d’être rabaissé à cette masse dont ils se sont extirpés, certains trouveront eux-mêmes les sources de leur propre malheur. S’ils arrêtaient de tout faire pour que ces réformes mêmes dont ils disent « en off », qu’elles sont aberrantes, soient mises en oeuvre (en fait, il ne s’agit pas de les mettre en oeuvre, il s’agit de dire qu’on l’a fait, peu importe le résultat), ils émergeraient peut-être un peu de cette espèce de schizophrénie qui les dissocie d’eux-mêmes et de ceux avec qui ils partagent le même lieu de travail. En attendant, et comme il ne faut pas se faire d’illusions sur l’aptitude de cette catégorie du personnel à briser ses propres chaines, comme il faut s’attendre, au contraire, à ce qu’ils sauvent leur âme en pesant davantage sur ceux sur qui la réforme leur donnera davantage de pouvoir encore, il faudra bien les considérer comme des obstacles, ou des complications. S’ils sont des partenaires dans ce combat, ce sera de façon exceptionnelle.

Une institution effacée

Là aussi, on comprend mieux que Jean-Michel Blanquer n’ait pas voulu donner son propre nom à la réforme dont il est l’auteur, préférant la baptiser L’Ecole de la confiance, un peu à la manière dont d’autres s’appellent Les Républicains. Au-delà d’un certain niveau de pure défiance entre les uns et les autres, la seule façon de jouer les faux-semblants, de donner l’illusion d’une institution unie, là où les acteurs, en fait, s’entre-déchirent, c’est de faire passer les choses pour ce qu’elles ne sont pas. L’autre élément de cette façon de faire, c’est de faire croire que la politique consiste uniquement en ce jeu de langage.

Mais si on voulait prendre les choses par la poignée commode que sont les mots, on pourrait rappeler, alors, que le moyen qu’ils utilisent, et dont ils abusent désormais, n’est que provisoire. Il vise d’autres fonctions, d’autres places, il n’est que de passage. Ce rôle théorique de pro-vision, consistant à voir à l’avance, à pré-voir, il ne peut le remplir, précisément parce qu’on le condamne à se comporter comme un aveugle. C’est d’ailleurs là le côté roublard de la confiance : elle exige d’avancer sans y voir, en se laissant guider par une voix qui ne dit pourtant pas tout de ses intentions. Parce que ceux qui dirigent les établissements ne sont que de passage, la véritable incarnation de l’institution, et ses vrais gardiens, ce sont ceux qui y demeurent.

On ne doute pas que le ministère ait compris ce point, tant il semble pressé, là où ça chauffe le plus, de faire valser les équipes et de n’y placer que des moyens provisoires. Ce seront autant de points aveugles de plus, précisément là où on a le plus besoin de clairvoyance, et de vision à terme. Autant d’existence de plus mises en sursis.

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