No gazoline on the horizon

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01924910-photo-pochette-no-line-on-the-horizonRetour des refoulés, la mémoire déjà un pied dans l’outre-tombe, la sensibilité régressive, ce sont les mastodontes de la musique d’antan qui font aujourd’hui l’actualité. Ca nous va bien au teint, à nous autres qui nous faisons un revival eighties. Des noms oubliés, en directe provenance du vingtième siècle, tentent sur notre époque sans doute déjà rétrogradée aux yeux de l’Histoire leur travail de design sonore, comme pour lui fournir une bande son à la hauteur du non sens qu’elle tricote tranquillement, comme si de rien n’était. U2, Pet Shop Boys, Depeche Mode, trinité musicale des roaring eighties. A l’époque, le meilleur des trois mondes, le Père Rock’n Roll, le fils Dark Electro, le Saint Esprit EuroPop; je sais, je sais. Les principaux concernés aimeraient se voir attribuer d’autres rôles. Bono se verrait sans doute bien en Christ martyr, mais ce n’est là qu’une pose : tout chez U2 relève de la litturgie et du dogme; et c’est bien Master & Servant que Jesus, perché sur sa croix, offrant sang et eau aux hommes dans ce qui restera comme le plus pervers et le plus universel des plans SM que la planète connut, aurait choisi comme soundtrack. Enfin, si le Saint Esprit est cette tension entre ciel et terre, cette puissance d’élévation qui tient à bout de bras ces deux extrêmes irréconciliables, alors c’est chez ces fiévreux héritiers de l’énergy disco qu’il choisira son expression sonore, et Neil Tennant sera cet archange qui viendra raconter aux oreilles des hommes ce qui les enracine au quotidien, sur des tonnerres de violons et trompettes apocalyptiques, et on sait que l’apocalypse ne pourra être qu’un pandemonium martelé aux infrabasses, celles qui nous saisissent tels que nous sommes, nous autres êtres humains : le coeur lourd, les pieds légers. Le Saint Esprit n’est ni chez le Père Bono, ni chez le fils Dave, oscillant entre chute et rédemption, il a besoin des ondes antigravitationnelles de la transe, de la high energy, des vibes, parce que c’est lui le propergol de l’ascension, et c’est dans ce mouvement que Chris Lowe est expert.

Les cavaliers de l’apocalypse ont donc décidé de faire sonner quasi simultanément leurs trompettes. Sans doute ne se sont ils même pas concertés : le temps les appelait, tout simplement, la catastrophe approchante réclamait ses muezzins annonciateurs de temps qui nous semblent de moins en moins nouveaux. Qu’on se le dise, nous sommes pour de bon en territoire connu : ground zero s’est répandu à la vitesse de propagation d’un son : KRACH.

Justement, quelle musique pour un temps où tout n’est plus aplani, mais chaos ? Les pochettes ne trompent pas. Lignes brisées contre platitude horizontale. Ce sont ceux qui font le plus les malins sur le terrain politique qui ont le plus mal compris leur temps. Bono se croit encore dans les années 80, alors que la volonté de puissance semblait pouvoir se propulser dans n’importe quelle direction, puisqu’elle ne trouvait face à elle aucun obstacle décisif. Achtung baby, c’était la musique des grands depeche-mode-sounds-of-the-universe-300x3001espaces, du rodéo planétaire, la bande son des virées au long cours, en berline yankee, sur des routes sans fin, balayées par des vents de sable, aux bas côtés indécis, mais ne s’effaçant jamais tout à fait sous les pneus optimistes : goodyear t’assure que tu ne manqueras ni de motels, ni de carburant, et que tu es partout chez toi. Le coffre vide, le réservoir plein, le monde roulait coude à la portière, cheveux mi-longs dans le vent chaud, sunglasses sur le nez face au soleil asymptotiquement couchant. Dans le ciel insouciant, pas un nuage avant l’horizon. Sans doute paumés par le trompe l’oeil des années 2000, ignorant que l’histoire ne ressert pas deux fois les mêmes plats, U2 nous la rejoue grands espaces, autodrive enclenché et traversée du monde sans poste frontière, sans se rendre compte qu’on roule désormais avec l’aiguille de la jauge à carburant dans la zone rouge, que les pneus laissent entrevoir leur structure interne, et qu’on aurait mieux fait de glisser quelques vêtements de rechange dans le coffre; les nuits sont fraiches dans le désert du monde. Bientôt, le coude toujours à la portière, dans l’impression persistante de l’absence de ligne à l’horizon, on ne s’apercevra même plus qu’on poursuit la course sur le seul élan, en roue libre, juste parce que nos freins, eux aussi, sont désormais incapables de nous arrêter. Le problème avec les absences d’horizon, c’est qu’elles sont parfois dues au brouillard.

Ligne brisées en couronne d’épines chez Depeche Mode et angle droit chez les Pet Shop Boys. Monde fracturé chez les uns comme chez les autres. Si les premiers donnent à entendre le son de l’univers, on sait dès les premières secondes qu’il s’agit de cornes de brume. Le monde est un super tanker échoué n’importe où, les cuves à sec, et nous traversons le pont de ce qu’on a longtemps pris pour un paquebot de luxe, de long en large, sans pouvoir descendre à terre : trop gros, trop haut, on a beau jeter l’ancre, les chaines ne sont pas assez longues pour accrocher un quelconque point solide qui permettrait de s’arrimer. Le cargo s’est planté là, salle des cartes hors d’usage, sous un ciel sans repère mais au moins, on sait que, comme on dit, on en est là où ça devait arriver un jour ou l’autre, à la fin de ce périple pendant lequel on répétait en choeur « Jusqu’ici, tout va bien ». Nous y voila. Sur le pont libre de tout divertissement, les passagers s’agitent de moins en moins, seule une bagnole ricaine, quatre passagers coude à la portière passent encore pied au plancher, dans le rugissement de leur mécanique assoiffée comme on l’est quand on pense que le monde continuera à payer indéfiniment en liquide. La tension devient de plus en plus fragile, les guitares se font de plus en plus rauques. Mais c’est à mesure que les temps se font sombres que la paix s’installe, par épuisement certes, mais aussi par acceptation des limites comme le cadre normal dans lequel la vie devra décidément être menée, et contenue. Le paysage sonore plus confiné, la reverb’ estompée, l’univers est à la mesure de l’âme; et celle ci se fait petite. Retour à la modestie, concentration sur soi. Gahan et Gore n’en sont pas à leurs premiers pas dans cette dimension réduite de l’univers, mais l’exploration est désormais, aussi une installation au long cours, une nouvelle colonie.

Plus de perspective ? Ce serait oublier que l’âme, même rétrécie, aspire à se dépasser, et que c’est peut être là que se trouve la tâche secrète de la musique. Qu’il s’agisse des plongées introspectives de Depêche Mode ou des SpaceLaunches des Pet Shop Boys, les sons prennent racine dans les limites même du monde, les sons industriels, jpg_pet_shop_boys_yesles beats fondamentaux du coeur, mais il ne s’agit là que de points d’appui qui permettent aux neurones, au corps entier d’étendre ses réseaux dans toutes les directions, de se dépasser. Sur le pont du navire échoué, en beau milieu de ce qui va se transformer en dancefloor, deux gars discrets, deux dandys post-decadents installent un rack de puissance et quelques enceintes. En avant, un synthé et un micro sur son pied. Minimalisme, intelligent technology (c’est à dire une technique qui sait ce qu’elle est, ce qu’elle vaut, et qui ne se prend pas pour sa propre fin). Les enceintes balancent quelques bips, elles ont le jus nécessaire pour faire vibrer le sol artificiel sur lequel godasses de chantier et chaussures de sport vont pouvoir frapper, synchronisées. Insouciance mise en avant, légèreté qui parvient, le plus souvent sur la corde raide, à ne pas devenir une simple superficialité. Ca aussi, Bono ne l’a pas compris : dans un monde sans horizon, on demeure perpétuellement à la surface. Neil Tennant donne le coup de grâce : « pas besoin d’une grosse bagnole pour aller loin ». Insouciants de l’essence, on a pigé que le monde n’est que ce qu’il est, que les grandes messes sont réservées à Dieu lui même, qui commence à se sentir seul dans ses temples. Concentrés sur le seul mouvement qui vaille, l’inquiétude, on devient son propre carburant, travaillant sa propre forme, consommant sa propre énergie, brûlant de son propre feu, hybrides autonomes, selfmobiles.

Chevauchant dans un monde qui n’a finalement pas perdu ses points cardinaux, qui y est même pour de bon circonscrit, nous savons où nous en sommes, ça devait bien arriver. Ok, cowboy, ton univers est restreint; il est l’heure de l’accepter. Yep, le soleil se couche, suivons le: Go west.

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