Retraitement des retraités

In "CE QUI SE PASSE", MIND STORM
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Afin de contrer le projet gouvernemental et présidentiel consistant avant tout à repousser l’âge légal de la retraite à 64 ans, on ressort volontiers ces quelques phrases prononcées en conférence de presse en 2019 par celui-là même qui, aujourd’hui, semble faire le contraire de ce qu’il avait promis.

« Tant qu’on n’a pas réglé le problème du chômage dans notre pays, franchement ce serait assez hypocrite de décaler l’âge légal. Quand, aujourd’hui, on est peu qualifié, quand on vit dans une région qui est en difficulté industrielle, quand on est soi-même en difficulté, qu’on a une carrière fracturée, bon courage déjà pour arriver à 62 ans (…) Alors, on va dire : « Maintenant, il faut passer à 64 ans ? « Vous ne savez déjà plus comment faire après 55 ans. Les gens vous disent : Les emplois ne sont plus bons pour vous. C’est ça la réalité (…) On doit d’abord gagner ce combat avant d’aller expliquer aux gens : « Mes bons amis, travaillez plus longtemps. » Ce serait hypocrite »

Emmanuel Macron, Conférence de presse, 25 avril 2019



On comprend bien pourquoi on ressort cette déclaration : il s’agirait de montrer que Macron se contredit. En réalité, il n’y a là aucune contradiction : lors de cette conférence de presse, Emmanuel Macron annonçait précisément ce qui est en train de se passer. Il énonçait simplement, presque pour lui-même, la condition à satisfaire pour pouvoir mettre en œuvre son projet. Et faire de ce qui constitue pour les employeurs un problème, tout compte fait, une aubaine.

Et les effets d’aubaine c’est le principe du capitalisme.

Pour comprendre correctement cette déclaration, il faut la prendre par la fin, ce sur quoi il conclut : pour dire aux français « Mes bon amis, travaillez plus longtemps », il faut que le problème du chômage soit résolu. C’est ce combat qu’il faut d’abord avoir gagné pour ensuite pouvoir, enfin, passer à l’étape suivante.

La manière dont il en parle est significative : qui, en France, est encore capable de s’adresser aux français en ces termes : « Mes bon amis » ? Lui. Et lui seul. Personne ne parle ainsi, sauf lui. Dans ces trois mots, on entend parfaitement sa voix, qui tremble un peu sur le « a » pour produire une petite résonnance grave, signalant toute la valeur qu’il veut qu’on devine dans cette interpellation. Ce qu’il exprime donc là, ce n’est pas la situation hypothétique dans laquelle un homme politique dirait hypocritement cela aux français, mais l’annonce de la façon dont il le dira de façon franche.

Ce moment, c’est maintenant.

Parce que le problème du chômage est réglé. Bien sûr.

Peu importe que ce soit vrai ou pas. Dans les paroles gouvernementales, ce sont des éléments de langage répétés en boucle depuis des mois : le problème du chômage est à ce point réglé qu’on ne trouve plus personne pour travailler dans des conditions déplorables. Ainsi, on ne trouve plus de personnel soignant, il n’y a plus de volontaires pour conduire les trains, les bus, plus personne ne veut être prof, et si on veut un café ou une entrecôte en terrasse, il faut venir les chercher au comptoir puisqu’il n’y a plus de serveurs.

Du point de vue des employeurs, c’est un problème car même si au moindre coup dur on quémande une solidarité nationale à laquelle on rechigne d’habitude à contribuer, dans le fond on reste libéral. Jusqu’à maintenant les « entrepreneurs » aimaient bien voir dans le travail une marchandise comme les autres, dont le prix baissait proportionnellement à sa disponibilité sur le marché. La marchandise qu’est le travailleur se faisant plus rare ces derniers temps, le principe de l’offre et de la demande était soudainement moins bien assumé. Evidemment, il aurait fallu que les salaires augmentent. Et le moins qu’on puisse dire c’est qu’on n’aura pas lésiné sur les raisons de ne surtout pas accéder à cette demande pourtant bien « naturelle » : on se rend compte ? Ça favoriserait l’inflation (parce que bien entendu, l’inflation sans augmentation des salaires c’est bien plus souhaitable), et puis dans le fond, ça ne serait pas mérité. Car si les baisses de salaire sont toujours dues à la conjoncture les hausses, elles, doivent être accordées au mérite, critère dont le jugement arbitraire est toujours laissé aux bons soins des payeurs. Mais quand il s’agit de rémunérer le travail le payeur, c’est aussi toujours le profiteur. Celui-ci, parce qu’il a toutes les cartes en mains, peut développer sa propre logique : mieux payer le travailleur n’est, dans sa perspective « réaliste », jamais un choix.

Comme il n’est jamais agréable d’être pris en flagrant délit de petits arrangements avec le réel mieux vaut faire en sorte que la réalité corresponde aux conditions exactes qui provoqueront nécessairement les décisions que, de toute façon, on voulait prendre. Ainsi, si le manque de travailleurs rend nécessaire la hausse des salaires, alors il suffit d’ouvrir grand les vannes qui déverseront des travailleurs sur le marché pour que le coût du travail ait soudain tendance à baisser. Comme les pays producteurs de pétrole peuvent décider de baisser la production ou au contraire ouvrir grand les vannes, notre gouvernement peut inonder le marché avec des travailleurs qui auront d’autant moins de valeur sur le marché qu’ils ne seront pas employables, précisément parce qu’ils seront trop âgés pour intéresser des employeurs : ils sont une marchandise dont personne ne veut.

Autant dire que c’est une aubaine : en mettant dans les rayons du supermarché du travail une masse incompressible de travailleurs qui ne trouveront pas preneur, c’est la valeur de tous les travailleurs qui baissera, pour le plus grand bénéfice de ceux qui tirent bénéfice du travail de ceux qui travaillent.

Parce que, finalement, c’est à cette donnée qu’il faut tout ramener : tout travailleur génère une richesse qui ne lui revient pas. Si cette règle n’est pas respectée, il n’est tout simplement pas employé. On a même souvent vu des licenciements motivés par le fait que ce gain, bien qu’existant, était considéré comme insuffisant. Dès lors, tout actif de plus de 62 ans génèrera pour les employeurs davantage d’enrichissement, au moins pendant deux ans (et en réalité pendant cinq années, car tout le monde ira jusqu’à 67 : la notion de taux plein n’a pas de sens s’il existe un bonus permettant de gagner plus que le « plein ». Ce qu’on appelle « taux plein » peut en réalité être rempli davantage. Et quand on fait les comptes, pour la plupart des travailleurs, ce « davantage » n’est pas, et de loin, un luxe). Il produira cette richesse soit en travaillant effectivement, pour le compte de son employeur ; soit en ne travaillant pas, et en contribuant ainsi à faire baisser la valeur du travail, ce qui rendra tout employé d’autant plus rentable pour ceux qui l’emploient.

Ce gain, il faut l’additionner à cet autre profit que chacun, travailleur ou pas, génère quand il consomme. Que ce soit au travail ou au magasin, ce sont les mêmes qui perdent, les mêmes qui gagnent. Et toutes les observations menées depuis des décennies concordent : ceux qui y gagnent voient leurs gains augmenter, pour la simple raison qu’ils définissent les règles de la distribution des gains. Et leur but est simple :  ils veulent avoir tout à y gagner. Peu importent les vies qu’ils exploitent et détruisent sur leur passage. Ce ne sont que des moyens, sans fin. Dès lors, chaque année de retraite est une année d’exploitation perdue. Payer une retraite, c’est financer une vie avec un retour sur investissement réduit de moitié : le retraité consomme, mais ce n’est que la moitié du profit qu’un être humain peut générer. Il vaut mieux qu’un retraité soit chômeur. Au moins il détruit la valeur économique de la fameuse « valeur travail », et ne cotisant pas pendant ce temps il sera bien obligé de partir sans avoir compilé tous les trimestres attendus. Sa retraite, bien que repoussée à plus tard, coûtera moins cher et si jamais il trouve un petit boulot, il acceptera d’être payé au lance-pierres, conscient d’être un poids mort pour son employeur.  Le temps venu, l’insuffisance de sa pension le poussera à chercher, à la retraite, un travail. L’évidence, c’est qu’il n’aura pas les moyens d’être très regardant sur les conditions de celui-ci.

Macron énonçait donc son programme : il suffit de décréter la fin du chômage pour passer en phase offensive et obtenir ce qui était en réalité son intention première, la véritable raison de son élection : asservir davantage les travailleurs, et rassurer les marchés dont il est le représentant objectif. Ainsi le chômage, problème officiel de tous les hommes politiques, devient une aubaine, qu’il existe, ou qu’il n’existe pas. Quand il y en a, il fait baisser la valeur du travail. Et quand il semble résorbé il permet de saccager les droits sociaux. C’est un jeu politique qui permet à ceux qui tirent bénéfice du cycle de la production et de la consommation de se frotter davantage encore les mains, et de prendre le dessus sur la masse qui dépend de son bon vouloir, alors précisément que ce vouloir n’est, en fait, jamais bon.

Notre problème, avec Macron, c’est qu’il est parfaitement cohérent. Et s’il semble se contredire c’est surtout parce que, assourdis par le bruit et la fureur de ce contre quoi il prétend être un rempart, nous ne l’écoutons pas vraiment. Il peut tranquillement, dans l’exercice apparemment informel d’une conférence de presse, nous annoncer son plan, nous pensons qu’il énonce ce qu’il ne fera pas. Nous nous trompons. Quant au péril dont il est censé nous protéger, le vote prochain de cette réforme nous dit ce que nous avons besoin d’en savoir : Eric Ciotti, celui-là même qui est compatible avec le regard et les paroles de Zemmour, est l’allié recherché, et trouvé, du macronisme. Il est rare qu’un rempart ait des mains. Et s’il en avait une, on pourrait s’attendre à ce qu’il ne la tende pas à ce contre quoi il est censé être érigé.

La main de Macron est donc, dans cette réforme, tendue vers ce qui lui succédera. Peu importe. Ce n’est pas si cher payé puisque la facture ne lui sera pas adressée. Etre discrédité par ceux qu’on ne prend pas en considération, ce n’est pas un coût exorbitant.

La politique est une affaire d’aubaines. Et pour l’extrême droite, quoi qu’il arrive dans les prochaines semaines, il y a tout à gagner. Ca tombe bien, quels que soient les citoyens qu’elle prend en otages, elle est, elle aussi, la représentante objective de ceux qui, selon les règles actuelles, gagnent à tous les coups.  

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