De trop

In "CE QUI SE PASSE", CHOSES VUES, Il voit le mal partout, MIND STORM
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Un moins que rien n’est pas tout à fait une quantité négligeable car il est, en fait, de trop. C’est pour ça que Macron, quand il évoque avec la profondeur dont il aime prendre l’apparence les gares,  » où on croise des gens qui réussissent et des gens qui ne sont rien « , ne dit pas tout à fait le fond de sa pensée. Car ceux qui ne sont rien sont, aujourd’hui une gène, dans la mesure même où ils sont. Dire qu’ils ne sont rien est donc insuffisant, puisque « rien » ne dit pas tout de ce qu’ils sont à ses yeux. En réalité, ils sont un problème, et ils sont un problème même en vertu du fait qu’ils sont. S’ils n’étaient pas, ils ne manqueraient pas. C’est donc la part sacrifiable de la société qu’il décrit là, celle qu’on ne regretterait pas si elle venait à disparaître. Économiquement, c’est un coût. Et dans cette économie, un coût, c’est un manque à gagner.

Finalement, le problème avec les chômeurs, puisque c’est d »eux qu’il s’agit (c’est à dire les chômeurs actuels, mais aussi ceux qui les lois du moment vont aider à créer), c’est qu’on ne sait plus trop quoi leur donner à faire. La seule façon dont on peut les gérer, c’est de leur nuire suffisamment pour qu’ils fassent, par eux-mêmes, quelque chose. Or, la seule chose que puisse faire celui qui n’est rien, c’est correspondre à son être profond, et disparaître. C’est la politique de leur disparition que nous avons choisie, ensemble, il y a quelques mois, officialisant ce que, en fait, nous avions choisi il y a belle lurette sans oser se le dire. D’ailleurs, maintenant que nous avons compris, on fait tout pour ne plus le dire. On aura remarqué que ceux qui, il y a quelques mois, s’enthousiasmaient à l’idée que le macronisme puisse régner, tenant des leçons de morale à ceux qui refusaient de voter pour un tel projet, au prétexte qu’il fallait éviter bien pire encore (déjà, ils n’osaient avouer qu’en réalité, ce n’est pas qu’ils voulaient éviter l’extrême droite, c’est qu’ils voulaient cet extrême capitalisme, préférant placer le mal au-delà d’eux-mêmes pour se donner l’impression d’incarner le bien), ceux là même, aujourd’hui, font silence radio. Ils font comme si Mélenchon était l’unique horizon auquel ils aient à répondre, faisant rempart de leur fragile rhétorique, persuadés que la « bonne cause » et leur conception toute personnelle de la « raison » suffiront à déguiser leur intérêt personnel en bien commun. Ils sentent bien qu’en réalité le seul avenir qu’ils puissent espérer consiste en un désastre qu’ils feront semblant de ne pas voir pour, l’heure venue, échapper au banc des accusés. Pour le moment, ils préfèrent la mise au ban de ceux qu’ils accusent de se complaire dans l’échec. 

On les voit faire. 

A la question « Il y en a un peu plus, des gens, j’vous les mets quand même ? », les bouchers répondent désormais « non merci ». 

Dans ce qui suit, Monique Pinçon-Charlot pointe précisément cet anéantissement des plus faibles, et met les mots sur le dispositif qui leur est réservé : il faut faire passer ceux qui sont à l’origine même des conditions de la vie réelle pour des ennemis de la vie, pour des poids dont il faudrait se débarrasser. A l’inverse, il faut faire passer ceux qui, en réalité, ne font qu’absorber la force vitale du plus grand nombre pour des créateurs de richesse, des « entrepreneurs ». 

De fait, aujourd’hui, ceux qu’on peut encore appeler « ouvriers », c’est à dire ceux qui pourraient oeuvrer à la vie commune, ceux là même qui sont réellement nécessaires se voient désigner comme « de trop » : inutiles à la production, puisque des producteurs, il y en a ailleurs de bien plus rentables, et inutiles aussi à la consommation, puisque des consommateurs, on peut aussi en produire ailleurs, plus nombreux et moins regardants sur la marchandise. Surnuméraires, ils sont cette masse graisseuse dont un bon gestionnaire, un bon diététicien politique doit préconiser l’ablation. Mais on le sait bien, les opérations de chirurgie esthétique se pratiquent toujours en douce. C’est ce à quoi nous assistons. Autant dire, trois fois rien.

Le problème maintenant, pour la macronie, c’est que c’est bien beau d’avoir vaincu l’extrême droite, mais il est nécessaire de se réinventer un ennemi. L’ennemi, pour cette classe politique, ce sera toujours celui en lequel se reconnaîtront les crevards. Les Insoumis incarnant cette perspective qui se dessine pour les moins que rien, il s’agira, pendant le temps que devra bien durer ce mandat présidentiel, de le détruire suffisamment pour que, l’heure venue, cette masse critique se reporte sur une proposition qu’on pourra alors présenter à son tour comme le danger suprême. C’est là où croît ce qui soigne que croît le danger.

En bonus, le discours dans lequel Macron évoque ces petits « rien » : 

 

 

 

2 Comments

    • J’ai un énorme retard dans mes lectures, toutes confondues, les copies avant tout, et Simone Weil, à propos de qui je dois écrire quelques lignes, ou plutôt, non, quelques pages. Et donc ta publication. J’ai feuilleté numériquement, et c’est un format de publication qui m’est un peu étranger ! Je pense qu’une fois imprimé, je vais mieux m’y retrouver. Mais quoi qu’il en soit, ça va m’intéresser de te lire.

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